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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de la Vestale de Gaspare Spontini dans une mise en scène d’Éric Lacascade et sous la direction de Jérémie Rhorer au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Le sauvetage de la Vestale
De l’audace, il en fallait pour présenter Médée de Cherubini, qui plus est dans une mise en scène de Krzysztof Warlikowski, inévitable proie de la frange la plus conservatrice du public du Théâtre des Champs-Élysées. De l’audace, il en faut pour exhumer la Vestale de Spontini. Mais peut-être en aurait-il fallu davantage pour provoquer le choc espéré.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris
Le 18/10/2013
Mehdi MAHDAVI
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Si son triomphe initial et l’admiration inconditionnelle de Berlioz ne lui valurent qu’une éclipse partielle, la Vestale de Spontini connut peu ou prou le même destin que Médée de Cherubini. Non point dénaturée par des mains étrangères mais pourtant remaniée et traduite, le plus souvent en italien – c’est d’ailleurs sous cette forme qu’elle reparut à Paris en 1909.
Sur les traces pionnières de Rosa Ponselle, Maria Callas en ralluma la flamme. Avant que Régine Crespin, Leyla Gencer, Renata Scotto, Montserrat Caballé et quelques autres ne rendent à leur tour justice à l’un des derniers avatars peut-être de la tragédie lyrique d’Ancien Régime, qui non seulement pose les bases du Grand opéra à la française, mais aussi et surtout annonce le melodramma romantique italien et ses sublimes héroïnes. Car de Julia à Norma, il n’y a qu’un pas franchi par ces monstres sacrés.
Après Médée, la Vestale retrouve donc sa langue d’origine au TCE, dont la belle logique de programmation comble une lacune. Mais par quels moyens ? En dépit de l’attention portée à la prononciation et aux accents du français de Victor-Joseph-Étienne de Jouy, l’intelligibilité du texte demeure presque constamment soumise à la lecture des surtitres. Question récurrente, moins de familiarité avec les spécificités de l’idiome, que de style – à laquelle le Chœur Aedes apporte la plus éclatante réponse, par la limpidité des lignes et de la diction.
Parce qu’il est à la charnière entre deux époques, et deux vocalités, le rôle-titre est d’autant plus difficile à distribuer. Ermonela Jaho n’est ni Ponselle, ni Callas, il faut en faire son deuil. Elle n’a pas non plus, une fois admis tous ses défauts dans Médée, la présence foudroyante de Nadja Michael. Avec quelles armes peut-elle dès lors affronter Julia et ses lignes tendues sur une déclamation héritée de Gluck ? Un certain art du bel canto, qui fait absolument merveille dans Ô des infortunés déesse tutélaire. Mais dès sa grande scène du II, le phrasé achoppe sur un timbre poussé au-delà de ses derniers retranchements, entre stridences et trémulation, notamment dans l’aigu, souvent trop haut.
Pour Béatrice Uria-Monzon, Grande Vestale à la longue silhouette de marbre antique, l’incursion dans ce répertoire, dont les sauts de registre accusent les inégalités d’un instrument dont le centre de gravité est de plus en plus élevé, arrive trop tard, alors que la tessiture centrale de Licinius prive Andrew Richards de l’impact de son ténor ailleurs musclé. Les mêmes causes ne produisent pas tout à fait les mêmes effets chez Jean-François Borras, qui en Cinna bénéficie d’une émission remarquablement haute et claire, si typiquement française en somme, à laquelle la basse graillonneuse et courte du Souverain Pontife de Konstantin Gorny est une injure.
Cadre noir et dépouillé – à défaut de parti pris esthétique fort – mais suffisamment signifiant, la mise en scène d’Éric Lacascade, sa première à l’opéra, s’annonce sous de bons auspices. C’est que contrairement à d’autres qui préfèrent laisser chanter, l’homme de théâtre n’abandonne jamais les interprètes sur le plateau. Mais ses intentions, telles qu’énoncées dans le programme, se heurtent à deux écueils, qui sont autant d’erreurs de débutant.
Son refus, d’abord, du hiératisme, qui est pourtant ce qui lui réussit le mieux, aboutit plus d’une fois à des gestes artificiels et forcés, voire caricaturaux. Conséquence inévitable de sa volonté « de suivre la ligne musicale pour trouver l’écriture scénique ». Car bouger en rythme n’a jamais été une bonne solution, tant pour les chœurs que pour les solistes – sauf peut-être, avec modération, dans certains ensembles de Rossini.
C’est en effet courir le risque de l’anecdotique, jusqu’à s’y fourvoyer lorsque la main humaine qui, se substituant à la foudre divine, rallume la flamme sacrée, transforme la tragédie en pièce à sauvetage – alors en vogue à l’Opéra Comique, mais non à l’Académie impériale de musique. Pour montrer que l’on n’est pas dupe des conventions, comme dans cette ultime course-poursuite qui récuse la fin heureuse par une dérision potache ?
Il faut donc tout l’art et la maîtrise de Jérémie Rhorer pour préserver l’entreprise sinon du désastre, du moins de la médiocrité. Le Cercle de l’Harmonie a fait preuve dans la même fosse de plus d’assurance et de consistance, mais son chef frappe une nouvelle fois par un sens des équilibres qui exalte, tantôt lyrique, ductile, tantôt incisif, la dynamique rythmique et sonore d’une partition qui, entre élans et beautés, mérite au répertoire la place qui est déjà la sienne dans l’Histoire.
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