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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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RĂ©cital du pianiste Evgeny Kissin Ă la salle Pleyel, Paris.
Un Kissin visionnaire
La jeune maturité d’Evgeny Kissin (il a maintenant 42 ans) ne cesse d’enrichir, d’approfondir, de personnaliser un répertoire dont il transcende toujours quelque secret depuis des années. Ainsi son dernier récital nous a-t-il offert les interprétations magistrales d’un Schubert au classicisme glorifié et d’un Scriabine visionnaire.
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À peine assis, il entre fougueusement dans la Sonate en ré majeur, la dix-neuvième de Schubert. Accords et traits d’emblée triomphent. Les déferlements s’appuient sur des basses d’une rare éloquence cependant que le chant s’élève. Des triolets jouissifs, des octaves d’une puissance impressionnante clament la vitalité victorieuse de cet Allegro vivace, auquel succède le climat d’un Con moto contemplatif.
La clarté absolue des harmonies sur lesquelles se déroule une mélodie lumineuse, les nuances secrètes révélées avec une sensibilité riche de sa rigueur, l’art d’une pédale qui tient, marie et souligne subtilement la richesse de sonorités ô combien variées ou s’efface pour laisser leur autonomie rayonner, tout ce jeu, par son exigence sans la moindre faille, illumine le raffinement autant que la splendeur de ces sonorités.
Après un tel moment d’intimité, le Scherzo assume haut la main ses affirmations. Evgeny Kissin les répète sur tous les tons, énergiques ou doux, nous grisant de leur assurance avant un Rondo plein de surprises. En rupture avec l’attente d’un mouvement rapide, l’Allegro moderato court irrésistiblement son chemin.
Légèreté insolente des notes détachées à la main gauche, accords staccato d’une séduction souriante, la spontanéité enthousiasme jusqu’au pianissimo final tel un rêve qu’un accord tout simple conclue. On ne saurait rêver plus belle alliance d’un classicisme rigoureux et d’une personnalité visionnaire, que la maturité du pianiste ne cesse d’enrichir.
Et quand une telle personnalité part à la conquête d’Alexandre Scriabine, elle le ressuscite. S’identifiant au compositeur, Kissin en habite l’inspiration bientôt devenue sienne. Née de souples arpèges, la densité de la Sonate n° 2 devient l’œuvre du pianiste. Habitant ses contrastes, allant au bout de leurs excès, il en exalte la puissance et les ravages sans leur accorder la moindre pause.
Un souffle passionné les porte aux limites de l’incandescence. En dix minutes, la progression du drame se précipite, impétueuse et d’une ardeur à donner des frissons dont la résonnance des dernières notes et de leurs silences permet l’apaisement.
Scriabine permet à Kissin d’attiser tous les feux d’une palette de couleurs dont les deux Russes partagent les hallucinations. Omniprésentes dans les sept Études choisies parmi celles de l’opus 8, ces couleurs se substituent, se renouvellent, se jouent de leurs ombres et éclats en prouesses et émotions fascinantes.
Défis de leurs difficultés gagnés, l’Étude n° 2, A cappricio con forza, cultive son agitation ; Piacevolo, la n° 4 appuie ses ondoiements ; Brioso, la n° 5 épure son élégance ; Lento, la n° 8 prépare à la fantastique ballade de la n° 9 ; Andante cantabile, les écarts de la n° 11 marquent sa douleur ; et Patetico, la n° 12 exalte ses paroxysmes foudroyants. Éblouissant enchaînement que couronne l’acclamation du public.
Bienheureux Kissin ! Non seulement il peut tout se permettre, mais le bonheur de l’avoir réussi irradie un sourire d’enfant quand à son tour il semble remercier le public de son ovation reçue comme un cadeau.
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Salle Pleyel, Paris Le 20/10/2013 Claude HELLEU |
| RĂ©cital du pianiste Evgeny Kissin Ă la salle Pleyel, Paris. | Franz Schubert (1797-1828)
Sonate pour piano en ré majeur D. 850 « Gastein »
Alexandre Scriabine (1872-1915)
Sonate pour piano n° 2 en sol# mineur op. 19
Études op. 8 (n° 2, 4, 5, 8, 9, 11 et 12)
Evgeny Kissin, piano | |
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