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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Première à l’Opéra de Paris d’Elektra de Strauss dans la mise en scène de Robert Carsen, sous la direction de Philippe Jordan.
Une Elektra d’esthètes
Avant même que la production d’Aix-en-Provence ne devienne son testament artistique, la nouvelle Elektra de l’Opéra de Paris avait le désavantage de passer tout de suite après celle de Chéreau. Belles sinon puissantes, les images de Robert Carsen ne peuvent rien contre un souvenir trop prégnant, tandis que Philippe Jordan polit un orchestre qu’on aurait préféré plus brut.
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On était prêt à ne pas trop penser à Chéreau, dont le souvenir, parce qu’il s’est avéré le dernier, n’en est que plus intensément gravé. Mais la nouvelle Elektra de l’Opéra de Paris – la production, créée au Japon, n’en date pas moins de 2005 – nous le fait encore plus douloureusement regretter. À quoi bon comparer, dès lors, ce qui n’est pas comparable.
La déconvenue pourtant n’est pas immédiate. Une fois de plus, Robert Carsen frappe un grand coup au lever de rideau : le décor forcément unique de Michael Levine est une fosse, terre battue et parois impraticables, un puits d’épouvante au plus profond duquel grouillent des femmes, comme émanées du sol. Impossible pour la lumière d’y pénétrer, impossible, surtout, d’en sortir – et donc difficile d’y entrer, ce qui rend les allées et venues improbables, voire incongrues.
Soudain, celle qui, au centre, semblait dormir d’un sommeil aux rêves troubles, déterre un homme nu. Elektra a pour seul désir de danser, non sur les cadavres, mais avec le premier d’entre eux, celui de son père Agamemnon. Clytemnestre, mère abhorrée, surgit elle aussi de nulle part. Sur un lit défait, entre débauche et cauchemar, nuisette de satin blanc et brushing étudié pour un contraste avec toutes les autres femmes, robes noires informes et cheveux gras, qui peuplent ce palais souterrain – mais pourquoi basculer dans l’anecdote en l’évacuant comme une lettre à la poste ?
Carsen, qui avec Peter van Praet, signe également les éclairages, replonge l’opéra de Strauss dans cette obscurité dont Chéreau l’avait fait sortir, convoque des ombres à la Murnau, qui font certes leur effet – malheureusement de déjà vu –, après Béjart et Bausch pour une chorégraphie rituelle. Il multiplie aussi les doubles d’Elektra – chœur antique ou figures indifférenciés d’une obsession meurtrière –, qui en meublant l’espace soulignent l’inanité de la direction d’acteurs – là où Chéreau allait débusquer jusque dans les plus infimes détails la vérité d’êtres de sang et de larmes.
De belles images font de belles photos, parfois aussi du grand théâtre, pour peu qu’on les anime – d’un feu sacré, monstrueux, celui des grandes anciennes que d’autres, ceux qui les ont vues et entendues, à moins qu’ils n’aient fini par s’en persuader, évoqueront mieux que nous. Car comment être happé par la tragédie quand les deux sœurs chantent symétriquement plantées à l’avant-scène, les bras ballants et le regard vide ?
Mais est-ce la faute de Carsen, dont les tendances d’esthète sont désormais trop connues pour compenser l’absence de visages et de corps, ou de chanteuses dont il n’a su faire davantage que ce qu’elles ont bien voulu lui donner ? Il faut mettre à part Waltraud Meier, qui dispense tant d’art et de consonnes pour pallier ce qui manque à sa Clytemnestre en termes de timbre, de projection, de tessiture, qui plus est à la Bastille, où nous l’avons entendue de la même distance qu’au Grand Théâtre de Provence, mais où il n’est pas certain qu’elle passe le quinzième rang.
Ricarda Merbeth est comme toujours sans une once de charisme, excellente selon les standards de la routine ou de la troupe, beaucoup moins pour le prestige présumé de l’Opéra de Paris, faisant tout ce qu’elle peut, mais décidément plate. Et pourtant, ce timbre, qui laisse entrevoir la lumière d’une Chrysothémis, pourrait s’envoler si la musicienne était plus aventureuse, la technicienne moins scrupuleuse, et encombrée d’un vibrato qui tend à l’assécher totalement.
Iréne Theorin, elle, est de plus en plus téméraire au fur et à mesure de l’après-midi – rien que pour le rôle-titre, il ne faudrait pas donner Elektra en matinée, et surtout pas la première –, mais pas moins accidentée. Son vibrato en sirène d’alarme se stabilise certes en autant de temps – celui d’un monologue – qu’il en faut pour s’y habituer, mais l’aigu est rétif, proche du cri quand il n’est pas escamoté. Et si l’étoffe, qui a davantage de relief que celle d’une Herlitzius, tient pourtant moins bien la distance, elle peine, malgré les tentatives de modulation, à sortir de l’anonymat.
Comme Salonen à Aix-en-Provence, mais à un degré de transparence encore plus poussé – sans doute parce qu’il façonne l’Orchestre de l’Opéra depuis quatre saisons déjà –, Philippe Jordan suit le précepte édicté par Strauss dans ses Dix commandements : Dirige Salome et Elektra comme s’ils étaient de Mendelssohn : de la musique d’elfes. Ce faisant, il se grise – et fascine – des miroitements d’un diamant dont il taille les facettes à l’infini, jusqu’à obtenir des textures impalpables qui éveillent le désir de l’entendre à l’œuvre dans les entrelacs du monde fantasmagorique de la Femme sans ombre. Mais Elektra est un diamant noir, qu’il convient peut-être de ne pas trop polir pour sonder les méandres de sa matière brute.
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Opéra Bastille, Paris Le 27/10/2013 Mehdi MAHDAVI |
| Première à l’Opéra de Paris d’Elektra de Strauss dans la mise en scène de Robert Carsen, sous la direction de Philippe Jordan. | Richard Strauss (1864-1949)
Elektra, opéra en un acte (1909)
Livret de Hugo von Hofmannsthal d’après Sophocle
Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Paris
direction : Philippe Jordan
mise en scène : Robert Carsen
décors : Michael Levine
costumes : Vazul Matusz
chorégraphie : Philippe Giraudeau
Ă©clairages : Robert Carsen, Peter van Praet
Avec :
Waltraud Meier (Klytämnestra), Iréne Theorin (Elektra), Ricarda Merbeth (Chrysothemis), Evgeny Nikitin (Orest), Kim Begley (Aegisth), Johannes Schmidt (Der Pfleger des Orest), Ghislaine Roux (Die Vertraute der Klytämnestra), Corinne Talibart (Die Schleppeträgerin), Jörg Schneider (Ein junger Diener), Kristof Klorek (Ein alter Diener), Miranda Keys (Die Aufseherin), Anja Jung (Erste Magd), Susanna Kreusch (Zweite Magd), Heike Wessels (Dritte Magd), Barbara Morihien (Vierte Magd), Eva Oltivanyi (Fünfte Magd). | |
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