Ils ont à leur programme trois sonates pour violon et piano, ainsi intitulées depuis leur édition. En fait, ce sont une sonate de Weinberg et deux sonates de Beethoven pour piano et violon que nous offrent Martha Argerich et Gidon Kremer au cours de ce récital illuminé par la présence de celle-ci dès les premières notes de la Sonate n° 5 op. 53 de Weinberg, écrite fin 1953 et dédiée à Chostakovitch, l’ami russe qui a proposé au compositeur d’origine polonaise exilé à Minsk puis Tachkent de venir vivre à Moscou.
Le piano nous emmène dans un monde onirique où le violon vient le rejoindre. Tranquillité d’une atmosphère qui se tend bientôt. Le piano laisse le violon diriger le duo, on croit encore à l’égalité de ces deux grands interprètes, complices de toujours et là pareillement engagés dans le déchaînement d’une partition qu’ils révèlent à la majorité du public.
Martèlements impératifs aux couleurs mordorées ici, note aiguë tenue par l’archet tel un souffle là, dynamique et expressivité fusionnent, se répondent. L’entente entre les deux instruments est si parfaite que par moments ils semblent devenir un seul instrument, violon parfois fondu dans le piano. Une réussite dont la sonate suivante ne bénéficiera pas.
La dixième et dernière sonate composée par Beethoven en 1812 pour violon et piano, la Sonate n° 10 op. 96, place, certes, les deux musiciens sur le même plan, mais concède à l’archet une sorte de souveraineté qui, ce soir, fait totalement défaut à Gidon Kremer. Si l’entente demeure exemplaire entre les musiciens, attaques rigoureusement synchronisées, débuts et fins de phrases sans le moindre décalage, celles-ci sont portées par Martha Argerich.
L’éclat solaire du piano compense la faible sonorité du violon, en retrait dès que la virtuosité impose des traits devenus tels, bien droits mais peu articulés, ou d’une sècheresse décevante. Leur dialogue résiste néanmoins à ces réserves, ici ludique, là nerveux, pour se conclure en variations où le piano triomphe, selon la partition que Martha transcende, fougue, flamme et naturel conjoints.
Gidon Kremer se retrouve seul pour la Sonate n° 3 de Weinberg, « l’une des œuvres les plus difficiles que j’ai conquises ces dernières années », précise le célèbre violoniste. En un seul mouvement, monumentale, l’histoire dramatique sur la vie, l’amour, le destin, l’éternité qu’elle nous conte se présente ce soir comme une spectaculaire démonstration technique des ressources du violon. Harmoniques, registres extrêmes, doubles cordes impressionnent, malgré quelques faiblesses du phrasé droit mais court. La richesse polyphonique prend le pas sur une narration dramatique peu convaincante. Recueillement ou férocité se succèdent sur le même ton. Ardue, la partition se montre revêche, et l’Amati de 1641 n’en peut mais.
Et Martha Argerich revient pour la Sonate n° 8 en sol majeur op. 30 n° 3. Au départ qualifiée de Sonate pour le pianoforte avec l’accompagnement d’un violon, termes récusés depuis le constat que l’écriture pour le piano et celle pour le violon permettent un dialogue d’égal à égal, cette sonate mérite ce soir le rappel de cette qualification, même si le pianoforte de son époque n’a rien à voir avec celui qui chante sous l’engagement de Martha.
Dès l’entrée en fanfare, l’envolée du violon et le piano à l’unisson sont projetés à partir du clavier. Avec toujours les mêmes qualités de précision au départ et à l’arrivée des phrases, celles que le violon joue en écho du piano n’ont pas autant de notes. La différence de sonorité affadit le Tempo di minuetto dès que la pianiste laisse à l’archet la prépondérance qui lui revient.
Et qu’elle reprend dans l’Allegro vivace, où tourbillons de double croches et rythmes irrésistibles célèbrent un bonheur dont la vitalité n’a d’égale que la profondeur. Un finale où jubilent la spontanéité, la maîtrise, la sensibilité, la pensée, les prouesses virtuoses et le toucher magique d’une personnalité incomparable.
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