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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de la Femme sans ombre de Strauss dans une mise en scène de Krzysztof Warlikowski et sous la direction de Kirill Petrenko à l’Opéra de Bavière.
Une Femme sans faute
Puisque l’Opéra de Paris a décidé de se passer de Krzysztof Warlikowski, c’est à Bruxelles et Madrid qu’il faut aller le retrouver. Ou encore à Munich, où ce grand poète de la scène lyrique signe une vision épurée et foisonnante de la Femme sans ombre de Strauss et Hofmannsthal. À l’image de la direction musicale de Kirill Petrenko.
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Était-ce un rêve, un souvenir ? Les séquences de l’Année dernière à Marienbad qui, par un jeu de projections virtuose, ouvrent la nouvelle Femme sans ombre de la Staatsoper de Munich, sont l’une des clés de la production de Krzysztof Warlikowski. Étrangère à tout réalisme, la scénographie de Malgorzata Szczesniak module un espace poétique, onirique, et d’abord mental.
Est-ce un hôtel, un sanatorium, une clinique psychiatrique ? Autant de lieux qui, entre divans et buanderie, salle d’attente, réfectoire ou bloc opératoire carrelés de blanc, symbolisent à la fois les mondes du livret de Hofmannsthal et les instances psychiques de la seconde topique que Freud formulera un an après la création de l’opéra, pour une plongée au cœur de l’inconscient de cette Impératrice soustraite à la réalité.
Dans sa quête incertaine, entre réminiscences et refoulement, elle croit être guidée par la Nourrice, dont l’omniprésence instaure un rapport de tendresse filiale mêlé d’attirance charnelle et de domination qui renvoie à la fois à la Comtesse Geschwitz, au docteur Katz chez Fassbinder, à Inès chez Sartre. Mais cette dernière ne peut empêcher qu’entre le Ça, ce monde d’en bas, sordide, où croupissent Barak et la Teinturière, et le Surmoi, monde d’en haut où règne Keikobad, les frontières s’estompent, et que sa protégée lui échappe.
À la figure du père invisible, trop vieux peut-être, Warlikowski donne ici un corps, courbé au point de ne jamais lever le secret dont il semble être le gardien. Résoudre l’énigme reviendrait cependant à restreindre une dramaturgie foisonnante à une grille de lecture psychanalytique, alors même qu’elle n’élude jamais la dimension féérique du conte.
Peuplé d’enfants à tête de faucon, un bestiaire magnifique ouvre le champ de l’imaginaire. D’autant que le metteur en scène polonais ne détourne aucun symbole : arc, épée, ou encore ces voix toujours dissociées de leurs apparitions. Et jusqu’aux eaux qui, à la fin du II, déferlent sur le plateau grâce aux animations vertigineuses de Kamil Polak, qui pour le cauchemar de l’Impératrice a créé une forêt envahie par les tombes – à l’image des vieux cimetières munichois.
L’utopie assurément conservatrice d’un finale dont la musique, pour cette raison même, étaye les accusations de lourdeur portées contre Strauss, achève enfin d’inscrire cette production dans une perspective historique, celle de l’Allemagne, tant après la Première que la Seconde Guerre mondiale, et celle d’un théâtre érigé en symbole de la reconstruction à sa réouverture en 1963, avec la Femme sans ombre.
Pour ce cinquantenaire, l’Opéra de Munich a réuni un quintette de voix considérables, sans doute l’un des meilleurs qui se puisse imaginer aujourd’hui. Et pourtant… Johan Botha est posé là sans qu’apparaisse jamais sur son visage la moindre tentative de caractérisation – ce en quoi l’Empereur ne le prend certes pas en défaut. Appuyé sur un souffle infini, son chant sans ombre ni éclat est à son image, d’une sérénité qui frise l’indifférence.
Bien qu’elle lui emprunte sa garde-robe, Adrienne Pieczonka n’a pas l’aura indéfinissable de Delphine Seyrig dans le film d’Alain Resnais. Et son instrument fluide et épanoui tel un fleuve au long cours ne prend ni le risque de la pure lumière et de la légèreté à son réveil, ni celui de s’abandonner à l’émotion heurtée du Sprechgesang de son dernier monologue, s’interdisant toute évolution au cours du voyage intérieur de l’Impératrice.
Avec les années, le soprano dramatique cuirassé de Deborah Polaski s’est réduit à une trame claire qui résiste tant bien que mal à l’ambitus venimeux de la Nourrice, mais touche par sa fragilité. À l’inverse, Wolfgang Koch est au zénith de ses moyens techniques et musicaux, Barak au timbre pétri de tendresse, mais tranchant quand l’exige un rôle dont tant de perfection tend à entamer la vérité brute.
Ce qui donc fait défaut à cette distribution mieux que solide, c’est une bête de scène, une interprète capable d’aller au-delà d’elle-même au point de faire oublier qu’elle chante et qu’elle joue. Elena Pankratova pourrait y prétendre s’il était possible d’identifier les inégalités de sa Teinturière tantôt pulpeuse et corsée, tantôt stridente et aride comme subies ou voulues. Mais il suffit que la question se pose pour que la réponse soit négative.
La fosse doit dès lors prendre seule le relais de la mise en scène et de ses métamorphoses. Un sorcier y officie, qui inaugure son mandat de directeur musical de la Staatsoper en démontrant l’étendue d’un pouvoir qu’on croirait sans limite. Car à celui qui sait ne jamais couvrir son plateau tout en portant l’orchestre à ébullition, contenir le flux pour mieux le libérer, tendre la grande arche en éclairant mille détails, jouer de l’enivrante palette des timbres dans l’urgence absolue du drame, à celui-là , la Femme sans ombre a livré tous ses secrets.
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Nationaltheater, MĂĽnchen Le 01/12/2013 Mehdi MAHDAVI |
| Nouvelle production de la Femme sans ombre de Strauss dans une mise en scène de Krzysztof Warlikowski et sous la direction de Kirill Petrenko à l’Opéra de Bavière. | Richard Strauss (1864-1949)
Die Frau ohne Schatten, opéra en trois actes (1919)
Livret de Hugo von Hofmannsthal
Kinderchor und Chor der Bayerischen Staatsoper
Bayerisches Staatsorchester
direction : Kirill Petrenko
mise en scène : Krzysztof Warlikowski
décors et costumes : Malgorzata Szczesniak
Ă©clairages : Felice Ross
chorégraphie : Claude Bardouil
vidéos : Denis Guéguin
vidéos d’animation : Kamil Polak
dramaturgie : Miron Hakenbeck
préparation des chœurs d’enfants : Stellario Fagone
préparation des chœurs : Sören Eckhoff
Avec :
Johan Botha (Der Kaiser), Adrienne Pieczonka (Die Kaiserin), Deborah Polaski (Die Amme), Sebastian Holecek (Der Geisterbote), Hanna-Elisabeth Müller (Hüter der Schwelle des Tempels), Dean Power (Erscheinung eines Jünglings), Eri Nakamura (Die Stimme des Falken), Okka von der Damerau (Eine Stimme von oben), Wolfgang Koch (Barak, der Färber), Elena Pankratova (Färberin), Tim Kuypers (Der Einäugige), Christian Rieger (Der Einarmige), Matthew Peña (Der Bucklige), Renate Jett (Keikobad). | |
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