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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production du Trouvère de Verdi dans une mise en scène de Philipp Stölzl et sous la direction de Daniel Barenboïm à l’Opéra de Berlin.
Verdi au Muppet Show
Pari réussi dans ce nouveau Trouvère de la Staastoper de Berlin pour Anna Netrebko et Plácido Domingo abordant un tournant décisif de leur répertoire verdien, dans le contexte périlleux de la mise en scène iconoclaste, façon Muppet Show, du vidéaste Philipp Stölzl, mais sous la direction d’un Daniel Barenboïm étonnamment incisif.
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Décidément, le Trouvère crée l’événement cette année sur les scènes d’outre-Rhin ! Après celui de Munich signé par un Olivier Py incapable de mettre de l’ordre dans un trop plein d’idées disparates, l’Opéra de Berlin propose en coproduction avec les Wiener Festwochen une mise en scène tout aussi iconoclaste fruit de l’imagination du cinéaste Philipp Stölzl.
On peut ne pas apprécier ce parti pris d’un second degré et d’une dérision qui font de tous les personnages des marionnettes au comportement d’automates (le travail sur la gestuelle des chœurs masculins, éblouissant), mais visuellement, le spectacle est non seulement original mais d’une belle esthétique.
On est dans l’univers de la BD, du cartoon, du théâtre de Guignol où tous les méchants sont en noir (superbes costumes d’époque) et les gentils bariolés, avec notamment une Azucena juvénile à la tignasse rousse échevelée et maquillée comme un clown Commedia dell’arte, et une Leonora nunuche, sorte de poupée blonde filasse au visage enfariné. Quant au pauvre Manrico, pantin égaré, il est franchement ridicule avec son luth sur l’épaule et sa mèche de Polichinelle.
Tous jouent à fond le jeu du pastiche, à l’exception de Plácido Domingo dont le look et le sérieux contrastent avec la parodie ambiante sans dénaturer la production, mais en lui conférant une vérité a contrario. D’une élégance suprême et incroyablement jeune dans son pourpoint de velours noir, sanglé dans ses hautes bottes, cheveux longs et barbe de jais, il fait de Luna, amoureux fou et désespéré de Leonora, le héros inattendu de l’histoire.
Curieusement, ce décalage sert la production dans la mesure où tout le dernier tableau évolue vers une véritable émotion. Soudain, le ton change, toute dérision disparaît, chaque personnage trouvant sa vérité dramatique dans un respect absolu du livret et de la musique avec des images simples, fortes et belles. Leonora se poignarde pendant le Miserere et la tache de sang sur sa poitrine se propage sur les murs. À cet égard, des éclairages virtuoses et l’apport de la vidéo qui déconstruit ou modifie le décor unique sont une réussite incontestable.
Vocalement, enfin, personne ne déçoit les attentes. Après sa magnifique Giovanna d’Arco à Salzbourg et avant sa Lady Macbeth au festival de Munich 2014, Anna Netrebko confirme qu’elle est désormais en mesure d’assumer avec opulence et une richesse de timbre exceptionnelle les grands sopranos verdiens. Difficile de croire, malgré l’annonce faite en lever de rideau, qu’elle assure la soirée malgré un refroidissement sévère.
De son côté, Plácido Domingo aborde avec Luna son quatrième nouveau Verdi de l’année après Germont, Nabucco et le père de Jeanne d’Arc. Et l’emploi le plus périlleux, le moins évident au niveau d’une tessiture tendue caractéristique du baryton Verdi authentique. Une fois encore, il surmonte l’obstacle : prudent dans Il balen del suo sorriso, étonnant dans son duo avec Leonora où il trouve des accents magnifiques.
À l’origine, Aleksandrs Antonenko devait compléter le plateau, mais suite à sa défection, il fut remplacé par le jeune ténor uruguayen Gaston Rivero, qui remplit son contrat avec une musicalité et une sûreté exemplaires. Même s’il est quelque peu à la peine dans les aigus de Di quella pira, il ne démérite jamais car le timbre est beau et il chante avec goût et élégance, ce qui est déjà beaucoup par les temps qui courent. De plus, sa silhouette et sa taille donnent à son personnage la fragilité idéale convenant à cette production décalée.
N’oublions pas l’Azucena survoltée et musicale, au timbre relativement clair de Marina Prudenskaïa ni surtout le Ferrando exceptionnel de la basse roumaine Adrian Sâmpetrean. A priori peu évident dans Verdi, Daniel Barenboïm, tout au contraire, défend la partition avec brio par une direction vive, alerte, nerveuse et nuancée, à la tête d’un orchestre et de chœurs splendides.
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