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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise d'Einstein on the Beach de Philip Glass et Robert Wilson dans le cadre du Portrait Robert Wilson du Festival d'Automne au Théâtre du Châtelet, Paris.
Sous le Châtelet, la plage
Événement incontournable de ce début d'année, et clôture en apothéose d'une 42e édition du Festival d'Automne qui, de 1976 à 2013, présentait le meilleur de Robert Wilson, la seconde – et sans doute ultime – reprise parisienne d'Einstein on the Beach a démontré le pouvoir de fascination intact de cette immersion dans un passé hors du temps.
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Le constat est le même que pour Atys : tout a été dit sur Einstein on the Beach depuis sa création en juillet 1976 au Festival d'Avignon, au fil des reprises qui en 1984 et 1992 ont ravivé le mythe, et jusqu'au multiples étapes de la présente tournée, débutée en 2012 à Montpellier, et qui aurait bien pu, pour de basses raisons financières, ne pas faire halte à Paris, où le spectacle a enfin été capté dans son intégralité. Ne cherchez donc pas ici de données factuelles, mais quelques impressions, et autant de questions.
À commencer par celle du genre. Cet objet énigmatique, Philip Glass et Robert Wilson l'ont d'emblée qualifié d'opéra. Mais en rupture totale avec la forme, et l'évolution qui a été la sienne durant les trois premiers quarts du XXe siècle. Parce qu'ils ont, avec une radicalité absolue, tourné le dos à la tradition littéraire, et rejeté le carcan de la narration, et jusqu’à la nécessité du sens même, dans la mesure où la composante visuelle précède et domine un texte généralement peu intelligible, qui de ce fait n'a souvent qu'une valeur chromatique et rythmique.
Apparu quasiment ex nihilo, Einstein on the Beach est une œuvre sans signes précurseurs – du moins dans le champ de l’opéra, et à l'exception, certes notable, des propres expérimentations de ses concepteurs –, ni surtout réelle postérité, dans la mesure où compositeur et metteur en scène sont partis, chacun de leur côté, à la conquête de formes plus conventionnelles.
Happé par Hollywood et l'institution, le premier a récemment commis le très insipide Perfect American d'après des épisodes romancés des derniers mois de la vie de Walt Disney, tandis que le second ne doit qu'à sa rencontre avec le Berliner Ensemble d'avoir su se réinventer au terme de près de trois décennies où, devenu un système figé dans une esthétisation obsessionnelle, son art singulier avait fini par se vider de sa substance. Comme si ce point de non-retour dans leur travail autant que dans l'histoire du théâtre musical s'était révélé une impasse pour l'un et l'autre.
Que peut-il bien alors rester d'Einstein on the Beach près de quarante ans après sa création ? Une pièce de musée pour nostalgique de l'avant-garde d'un siècle si proche encore, et pourtant déjà si loin ? Un moment historique projeté dans un présent à la mémoire de plus en plus courte ? En un mot comme en cent, Einstein on the Beach est-il simplement daté ?
Moins qu'à la trace laissée par la vie et l'œuvre du scientifique dans cet imaginaire qu'on n'ose plus qualifier de collectif – pas sûr en effet que le personnage soit encore « ce dieu mythique que l'homme de la rue connaît aussi bien que les Grecs anciens connaissaient les dieux de l'Olympe au temps d'Euripide », ainsi que le décrit Wilson –, la réponse appartient à chacun d'entre nous, qui avons eu l'opportunité d'y assister en direct, et dans la salle.
Car en même temps qu'une épreuve d'endurance pour les interprètes – acteurs, chanteurs, danseurs et musiciens –, ces quatre heures trente données sans interruption malgré un strict découpage en actes et en scènes sont un constant défi lancé à la perception du spectateur, dont les repères s'estompent progressivement jusqu'à se diluer totalement dans une durée qui échappe à l'entendement, où l'illusion de la répétition fondé le mouvement.
Einstein on the Beach est donc une expérience hors du temps. Épuisante autant qu'hypnotique, obsédante et définitivement fascinante. Et puisque son titre même nous lance sur des pistes qui n'aboutissent nulle part, son énigme ne devrait-elle pas rester à jamais irrésolue ?
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