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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production du Roi Arthus de Chausson dans une mise en scène de Keith Warner et sous la direction de Jacques Lacombe à l'Opéra national du Rhin.
Un Chausson glacé
Face à pareil désastre, il faudrait garder le silence. Mais le métier de critique consiste à rendre compte, du meilleur comme du pire. Et puisque certaines vérités, qui pourraient valoir à leur messager de perdre sa précieuse accréditation, sautent aux yeux et aux oreilles, on nous pardonnera – espérons-le du moins – de les énoncer sans plus de précautions oratoires.
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De mémoire de critique, et même de spectateur, on n'avait jamais vu ni entendu public aussi glacial – dont un bon quart a d'ailleurs profité des deux entractes d'une soirée paradoxalement moins longue qu'on ne le craignait, pour déserter la salle. Pas de bronca donc, mais une première en forme de camouflet. Tant pour Keith Warner qui, loin d'être le premier venu, n’en est pas moins responsable des ratages successifs de Simon Boccanegra de Verdi et de Tannhäuser de Wagner sur la même scène, que pour l’Opéra national du Rhin, qui en lui renouvelant une confiance aveugle, persiste et signe au point de desservir la rareté – saluons pour la forme le courage d'avoir osé programmer le Roi Arthus d'Ernest Chausson – qu'elle prétendait réhabiliter.
N'y avait-il personne pour élever la voix au moment crucial du dépôt de maquette, qui doit permettre, un an avant le début des répétitions, sinon de récuser un projet déjà avancé, du moins de prévenir le désastre en limitant les dégâts – mais peut-être a-t-on échappé au pire du pire ? Puisque « le fantôme par trop comique des Monthy Python et leur Sacré Graal a sans doute faussé à jamais l'image de cette période [médiévale] », le metteur en scène a opté pour une vague évocation – et non la vérité historique, dont il avoue ne pas être un expert – de la Première Guerre mondiale, soit de la décennie suivant la création posthume du Roi Arthus. Pourquoi pas ?
Mais au fond à quoi bon, dès lors qu'une direction d'acteurs terriblement schématique ou grand-guignolesque – ah ! le suicide de Genièvre, qui ne recule certes pas devant la littéralité, en un contraste improbable avec ce finale désespérant de sulpicianisme disneyen, auquel la musique, qui semble tout droit sortie de la Belle au bois dormant, invite peut-être – frise sans cesse l'amateurisme, voire le ridicule involontaire ? Et ne nous privons pas de stigmatiser les décors de David Fielding, qui depuis la Table ronde du bureau d'état-major jusqu'à une infirmerie pivotante, en passant par une sorte de lupanar patriotique et un magasin d'obus, n'ont en commun que leur affligeante laideur.
Le plateau n'offre guère de consolation hormis une langue manifestement soignée et d’une intelligibilité inespérée. Si souvent loués pour leur polyvalence, les chœurs de l’Opéra du Rhin achoppent sur une écriture aussi tendue que celle qui pousse le trio de protagonistes dans ses derniers retranchements. Quatre ans après une Lady Macbeth convaincante à défaut d'être subtile, Elisabete Matos ne peut simplement plus lutter contre les stridences d'un timbre de matrone et l'ampleur d'un vibrato qui donne la désagréable impression que cette Genièvre investie, passionnée même, chante au ralenti.
Comme toujours lorsqu'il est livré aux excès de son engagement viscéral, le ténor sombre et vaillant d'Andrew Richards pèche par défaut de contours, de tenue et de style. L'inverse en somme d'Andrew Schroeder, appelé assez tôt à pallier la défection de Franck Ferrari, et qui connaît bien le rôle-titre pour l'avoir interprété lors du centenaire de la création à la Monnaie, puis enregistré. Car si sa voix de baryton monochrome manque assurément d'assise et d'impact dans le grave et le médium, l'aigu est facile et l'incarnation châtiée – mais cela suffit-il à porter un personnage sur lequel repose l'ouvrage entier ?
Que l'on nous pardonne, dans de telles circonstances et puisque l'Opéra de Paris l'inscrira enfin à son répertoire la saison prochaine sous la direction de Philippe Jordan, dans une mise en scène de Graham Vick, et avec Thomas Hampson, Roberto Alagna et Sophie Koch en tête d'affiche, de ne pas nous attarder sur les mérites lancinants de ce drame lyrique qu'Ernest Chausson, convaincu pourtant de la nécessité de se déwagnériser, fourra de vrais, gros et beaux morceaux de Tristan, la Tétralogie et Parsifal.
Pour avoir sauvé la nacelle du naufrage en donnant à entendre les voies multiples de ce carrefour d'influences grâce aux textures dégraissées et resserrées d'un Orchestre symphonique de Mulhouse sur la pente ascendante, autant qu’à un sens de la progression dramatique imperméable aux errements de la scène, Jacques Lacombe est digne, non seulement des uniques éloges que l’on puisse sincèrement adresser à cette production, mais aussi, tel Arthus emmené par-delà les flots bleus, de « la suprême gloire d'avoir cru dans l'Idéal. »
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