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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise de Tristan et Isolde de Wagner dans la mise en scène de Bill Viola et Peter Sellars sous la direction de Philippe Jordan à l’Opéra de Paris.
Tristan tout hédonisme
Précédée d’une minute de silence en hommage à Gerard Mortier, cette reprise du Tristan de Bill Viola-Peter Sellars était surtout attendue pour la direction de Philippe Jordan, qui y distille des couleurs sublimes à la tête d’un Orchestre de l’Opéra de Paris somptueux comme jamais. Une forme d’hédonisme qui n’est pas sans certains revers.
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Bien plus que la première de la Flûte enchantée de Carsen, qu’il aurait probablement regardée en chien de faïence, il était logique que l’Opéra de Paris dédie à Gerard Mortier, directeur de la maison entre 2004 et 2009 disparu il y a un mois, cette série de représentations de la reprise d’une des productions emblématiques de son mandat, le Tristan du tandem Bill Viola-Peter Sellars.
Moment d’émotion intense que la minute de silence vécue debout par les 2700 spectateurs de l’Opéra Bastille, devant une partie du personnel de la maison massé côté jardin, alors que Philippe Jordan était déjà en place au pupitre. Manière aussi de tourner définitivement la page d’une ère, d’une manière de penser l’opéra qu’on n’est malheureusement pas près de revoir, in loco ou ailleurs, à ce degré d’audace.
Devant les images de ce spectacle passées dans l’inconscient collectif depuis presque une décennie – ce corps inanimé lavé de toute l’eau de la terre entrant en lévitation dans la dernière phase de la mort d’Isolde, qui n’a rien perdu de sa bouleversante intensité – on reste hébété d’entendre des sifflets accueillir Viola aux saluts, geste grotesque de quelques fats en manque de peaux de bêtes et barbes de vikings.
Car quoi qu’on en pense, il n’y a vraiment rien à huer dans ce Tristan, pas plus qu’il n’y aurait à huer les choix dramaturgiques d’une partie musicale qui nous a pourtant nettement plus laissé sur notre faim par delà ses immenses qualités. On sait en effet la prédilection de Philippe Jordan pour la bien sonnance, pour une pâte galbée, pour une esthétique léchée pouvant aller parfois jusqu’à la recherche du beau pour le beau, jusqu’à une forme de narcissisme assez éloignée des enjeux théâtraux.
Sur la forme, force est de constater que rarement un orchestre français aura su à ce point fondre ses couleurs en une masse wagnérienne aussi glorieuse, d’un legato de cordes à se rouler par terre, d’un fondu irréprochable des vents, d’une continuité qui donnent l’impression de vivre un rêve éveillé. Le III, notamment dans toute sa première partie, évolue sur les cimes par son sentiment d’interminable attente désolée.
Pour autant, on ne parvient pas un moment de ces quatre heures de musique – Jordan fils s’étale plus que feu Jordan père dans le continuum sonore – à se défaire de l’idée que Tristan perd à autant de pur hédonisme. Y manquent sur le fond la houle, le déplaisir, les angoisses de la nuit, les imprécations venant des tréfonds de l’âme, la passion poussée à ses extrémités orgasmiques, toute une dimension schopenhauerienne et tragique, et ce poison irriguant le chromatisme, assagi par les teintes trop constamment extatiques de la battue.
D’autant que Violeta Urmana et Robert Dean Smith, aujourd’hui probablement les titulaires les plus enviables d’Isolde et Tristan en purs termes vocaux, ne sont pas assez bêtes de scène pour insuffler à eux seuls une dimension tellurique qui fera défaut à cette série de représentations.
Elle, Isolde d’une incomparable vocalité à Lucerne dans la même production (l’égalité des registres, la radiance, la qualité de la ligne, le souffle, les nuances), viendrait cette fois un peu tard, alors que le vibrato s’est légèrement élargi, que l’aigu n’offre plus exactement la même stabilité, que le médium met du temps à trouver ses marques, même si à notre sens, pas une de ses rivales ne possède à l’heure actuelle un matériau aussi splendide (Todgeweihtes Haupt).
Lui, chevalier aristocratique, Tristan constamment distingué, authentiquement ténor, d’une franche clarté à la James King qu’on a toujours louée, est à Bastille contraint à s’économiser un peu au I, beaucoup au II, pour venir à bout sans risques d’une agonie moins étreignante que dans les dimensions rêvées de Bayreuth, où il fut une décennie sans concurrence.
Alentour, guère de vertiges, sinon dans la déclamation du Roi Marke de Franz-Josef Selig, accidenté mais immense de préparation des consonnes, portant vers l’intérieur toute la douleur de la trahison, car ni le Kurwenal sans autre attrait qu’une projection forte de Jochen Schmekenbecher, ni la Brangäne pourtant nuancée de Janina Baechle, instable au plus haut des appels, médium vite avalé par l’orchestre, ni le Jeune Marin de Pavol Breslik, trop vibré, sans mystère, ne parviennent à enflammer une soirée de magnificence sonore un rien univoque.
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