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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Première au Théâtre des Champs-Élysées d’Otello de Rossini dans la mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser et sous la direction de Jean-Christophe Spinosi.
Cecilia à l’ombre d’un saule
Cecilia Bartoli dans une production scénique à Paris, près d'un quart de siècle après ses débuts sans lendemain à l’Opéra Bastille : qui aurait encore osé y croire ? Et pourtant, le Théâtre des Champs-Élysées, qui a certes si souvent abrité les récitals-fleuves de la mezzo-soprano romaine, l’a fait. Au prix, sans doute, de quelques compromis.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris
Le 09/04/2014
Mehdi MAHDAVI
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Que ne subirait-on pas pour le rare privilège de voir Cecilia Bartoli dans une production d’opéra hors de ses fiefs de Zurich, dont la bonbonnière flatte une projection souvent jugée limitée, et de Salzbourg, dont elle a pris la direction artistique du Festival de Pâques en 2012 ? Vingt-trois ans que la mezzo-soprano n’avait plus foulé une scène parisienne en décors et en costumes, depuis ses débuts à la Bastille donc, en Cherubino des Nozze di Figaro selon Giorgio Strehler – qui s’en souvient, mieux que vaguement s’entend ? C’est savoir se faire désirer !
Soyons dès lors d’autant plus reconnaissant à Michel Franck, directeur du TCE, d’avoir eu la patience de mettre fin à cette interminable attente, qu’il n’a sans doute eu le choix, ni de l’œuvre – bien qu’elle donne opportunément le coup d’envoi de son festival Rossini –, ni du chef – quoique celui-ci soit un habitué de la maison –, ni des metteurs en scène – même si ces derniers reviendront dès la saison prochaine pour Maria Stuarda de Donizetti –, ni enfin du reste de la distribution – qui a déjà eu, dans sa quasi totalité, les honneurs d’un DVD récemment paru chez Decca.
Il faut donc subir, d'abord, l’Otello de Rossini, qui même sans invoquer les mânes de Shakespeare et de Verdi, n'est pas le meilleur, peut-être, des ouvrages du compositeur, tant dans le genre serio que parmi ceux écrits pour Naples – c’est pourquoi la Bartoli ne doit pas s’arrêter en si bonne voie, et oser enfin d’autres rôles créés par Isabella Colbran, plutôt que l’Italiana in Algeri qu’elle étrennera en juin à Dortmund. L’air d’entrée du Maure et son duo avec Rodrigo ne sont néanmoins pas sans provoquer leur lot de frissons, avant que Desdemona se taille la part du lion, d’abord en s’immisçant dans le susdit duo, puis en enchaînant l’électrisant finale du II, l’obsédant air du Saule et son ultime Prière – soit un bon tiers de l’opéra.
Il faut subir, surtout, Jean-Christophe Spinosi et son Ensemble Matheus, qui ne mérite décemment pas le nom d’orchestre en de telles circonstances. Car le chef mouline, prend la pose en s’appuyant complaisamment à la rambarde, et assèche la phrase sans que l’on comprenne vraiment où il veut en venir – et ses musiciens pas davantage, à en croire le désordre qui règne dans la fosse, entre cordes chétives et vents sans justesse ni souffle, cumulant ainsi tous les défauts présumés des instruments anciens sans en avoir les qualités, à commencer par l’étincelle virtuose...
Il faut subir, aussi, la production de Patrice Caurier et Moshe Leiser, qui traitent à juste titre, et dans l’Italie des années 1960, la question du racisme et de l’exclusion. C’est qu’ils s’y révèlent très en deçà de la subtilité théâtrale et du soin esthétique qui, dans leurs spectacles présentés ces dernières années à Angers Nantes Opéra, sautaient aux yeux. Parce que là comme à Zurich, le rapport intime entre la salle et le plateau concentre une attention que le large cadre de scène du Théâtre des Champs-Élysées disperse ? À moins que la précision reconnue de leur direction d’acteurs ne se heurte aux aptitudes plus ou moins développées des chanteurs en présence.
Car il faut subir, enfin, une affiche calquée, à un ténor près, sur celle qui inaugura cet Otello à Zurich. Passons rapidement sur les comprimarii, de l’Elmiro sommaire de Peter Kálmán à l’Emilia de Liliana Nikiteanu, qui de jeune espoir est devenue bonne troupière, jusqu’à ce que son mezzo épaissi la réduise à jouer les suivantes.
Entre la Suisse et Paris, Edgardo Rocha a troqué Iago – qui échoit à Barry Banks, physique et couleur idéalement félons, pas au point toutefois de pouvoir le faire exister davantage que ne l’ont voulu le librettiste et le compositeur – pour Rodrigo. Mais les écarts éclatants de la tessiture dissolvent le vernis suave qui laissait d’abord espérer une révélation – d’autant que le jeune chanteur doit parfaire une technique de vocalisation encore trop floue s’il veut être admis dans le cercle fermé des authentiques contraltini rossiniens.
Quant à John Osborn, son instrument sans cassure ni bavure, et couronné de suraigus hardis, ne possède pas, dans le grave surtout, mais pas seulement, la sombre envergure qu’exige le rôle-titre, taillé aux mesures phénoménales d’Andrea Nozzari – qui, aujourd’hui, pour relever un tel défi, à l’exception de Gregory Kunde, qui le chante désormais en alternance avec celui de Verdi ?
Mais il y a Cecilia Bartoli, son contrôle funambulesque de la ligne, cet art éperdument sensible et percutant de la diction expressive, qui serait presque une rhétorique s’il ne dénotait tant d’instinct, et l’émotion qui sourd de la substance même d’un timbre en clair-obscur. Tout ce qui, en somme, la rend unique.
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