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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Crépuscule des dieux de Wagner dans une mise en scène de Dieter Dorn et sous la direction d’Ingo Metzmacher au Grand Théâtre de Genève.
Ring Genève (4) :
L’éternel recommencement
Pari gagné à l’issue de ce Ring où triomphe le sens narratif et visuel de Dieter Dorn, trait d’union inespéré entre les classiques et les modernes, doublé d’un sans faute pour Ingo Metzmacher, héraut de la musique de chambre d’un bout à l’autre du cycle. Solide distribution en outre, avec un véritable accomplissement pour la Brünnhilde de Petra Lang.
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Au terme du voyage, si Dieter Dorn n’aura jamais cherché à réinventer la dramaturgie wagnérienne, à s’éloigner de l’esprit du mythe qui a inspiré à Wagner son plus colossal chef-d’œuvre – aucune relecture politique, sociale, psychanalytique dans ce Ring très respectueux de l’esprit de l’épopée –, osons affirmer que ce retour aux sources n’aura jamais rimé avec démission de l’imaginaire. C’est même au contraire par son immense métier que l’Allemand aura souvent réussi à illustrer l’ineffable.
Pour preuve, cette scène finale avec bûcher, débordement du Rhin et engloutissement de Hagen sous un tissu aquatique, vraie chute des Dieux au ralenti depuis le haut des cintres, pour mieux imprimer la rétine par une longue image finale bouleversante d’évidente simplicité : un plateau vide, symbole de l’éternel recommencement.
Par ailleurs, le relief donné à un personnage souvent cantonné au veule de service comme Gunther, ici véritable prince de haute lignée torturé par l’honneur, honteux de s’abaisser aux pires artifices pour obtenir l’inaccessible, dénote bien une réflexion en profondeur sur les enjeux de la dramaturgie.
Et puis le metteur en scène, vaillant octogénaire, a su réveiller notre âme d’enfant à travers les figures animales du Ring, pour une fois franchement assumées, et notamment cette marionnette de Grane qu’on a bien autant de chagrin à voir finir au bûcher que son maître. À l’heure de l’explosion de la scène théâtrale à l’opéra, ce type d’approche réussissant à réconcilier progressistes et conservateurs tient presque du miracle.
Chapeau bas ensuite à Ingo Metzmacher, qui aura maintenu jusqu’à l’ultime accord du Crépuscule le cap qu’il s’était fixé ab initio, à l’inverse de tant de maestros pétris de bonnes intentions mais finissant par se vautrer dans le son comme leurs glorieux aînés dont ils prétendaient combattre l’esthétique. On redécouvre ici sous des couleurs fines et fuyantes la scène des Nornes, avec de superbes sons filés et une justesse verticale des accords inédite, et un Voyage de Siegfried sur le Rhin d’une fausse insouciance.
Et si globalement, les chœurs, désordonnés, dépoitraillés, balançant leurs décibels à qui mieux mieux avec comme seul but de vibrer plus que le voisin (les aigus des ténors en premier lieu), déçoivent, l’Orchestre de la Suisse romande, même plus fatigué que dans Siegfried, s’offre une tenue qu’on ne lui connaissait plus.
D’ailleurs, les choix du chef justifient pour la première fois l’emploi de voix qu’on serait tenté de qualifier de légères pour les Nornes, qui peuvent ici laisser passer une inquiétude toute humaine, et permettent de goûter les textures nuancées des Filles du Rhin, généreuses en piani, ou encore la Waltraute très déclamée quoique franchement étriquée de Michelle Breedt.
Rien à ajouter sur l’Alberich de premier plan de John Lundgren, qui renvoie à sa modestie son rejeton de Hagen, un Jeremy Milner sans excès de monolithisme mais à la voix bien grise et à l’allemand défaillant, ne parvenant pas à plier son matériau à une volonté d’humaniser en scène le méchant des méchants de la tétralogie. En revanche, frère et sœur Gibichungen sont royalement servis : Gunther très noble, essence aristocratique et port altier de Johannes Martin Kränzle, Gutrune imposante d’aplomb vocal d’Edith Haller.
Prévisible mais ô combien réjouissant, le Siegfried moins Helden, plus haut-perché de Crépuscule donne à John Daszak l’occasion de briller d’une radiance d’authentique ténor, jusque dans une magnifique demi-teinte, touchante de simplicité, pour l’adieu du héros à son épouse. Avec un instrument aussi sain, le Britannique a de belles heures devant lui pour approfondir, notamment sur le plan de la langue, ces quasi débuts.
À toute diva tout honneur, terminons par la perle de ce Ring genevois, la Brünnhilde décidément épatante de Petra Lang, qui négocie toutes les chausse-trappes du plus éreintant des trois rôles avec un art de l’économie doublé d’un engagement de chaque instant qu’on ne peut qu’applaudir.
Ce timbre cendré, cette émission à la Mödl, non sans raucités ni assombrissement de la matière, ces consonnes fondues dans la ligne, ces attaques par-dessous tellement intégrées à la phrase qu’elles ne se repèrent plus comme défaut technique, cette manière de garder de la réserve tout du long de l’Immolation pour laisser éclater in fine sa rage à renfort d’aigus impressionnants de focus laissent la fille de Wotan dont on avait souvent rêvé : format de grand lyrique sans limites dramatiques, humanité du chant et de la caractérisation sans appauvrissement de la tenue.
Critiques des journées précédentes :
Das Rheingold
Die WalkĂĽre
Siegfried
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Grand Théâtre, Genève Le 25/05/2014 Yannick MILLON |
| Nouvelle production de Crépuscule des dieux de Wagner dans une mise en scène de Dieter Dorn et sous la direction d’Ingo Metzmacher au Grand Théâtre de Genève. | Richard Wagner (1813-1883)
Götterdämmerung, troisième journée en un prologue et trois actes au festival scénique Der Ring des Nibelungen (1876)
Livret du compositeur
Chœur du Grand Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse romande
direction : Ingo Metzmacher
mise en scène : Dieter Dorn
décors & costumes : Jürgen Rose
éclairages : Tobias Löffler
préparation des chœurs : Ching-Lien Wu
Avec :
John Daszak (Siegfried), Johannes Martin Kränzle (Gunther), Jeremy Milner (Hagen), John Lundgren (Alberich), Petra Lang (Brünnhilde), Edith Haller (Gutrune), Michelle Breedt (Waltraute), Eva Vogel (Erste Norn), Diana Axentii (Zweite Norn), Julienne Walker (Dritte Norn), Polina Pasztircsák (Woglinde), Stephanie Lauricella (Wellgunde), Laura Nykänen (Flosshilde). | |
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