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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise de la Flûte enchantée de Mozart dans la mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser, sous la direction de Mark Shanahan à Angers Nantes Opéra.
Magie et obscurité
Habitués des plus grandes maisons et metteurs en scène quasi attitrés de Cecilia Bartoli, Patrice Caurier et Moshe Leiser ne sont guère prophètes en leur pays. La relation de fidélité qui les lie depuis dix ans à Angers Nantes Opéra, parfait écrin de leur artisanat minutieux, n'en est que plus belle. Et justement célébrée par la reprise de leur production de la Flûte enchantée.
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Il faut se féliciter de retrouver Patrice Caurier et Moshe Leiser à leur meilleur après l’occasion manquée de leur retour parisien, avec un Otello de Rossini dont la transposition anonyme ne mettait guère en relief leur sens aigu de l'artisanat théâtral. D'autant plus que cette production de la Flûte enchantée, créée en 2006 pour Angers Nantes Opéra, qui a eu l’heureuse idée de la reprendre à la suite d’une série de spectacles mémorables signés par le duo de metteurs en scène, le restitue dans toute sa pureté.
C'est le rêve de deux grands enfants amoureux de la scène – du plancher, grinçant, au mur de fond, patiné par la rouille. Dépouillée, donc, de ses toiles peintes plus ou moins nostalgiques de l’Égypte fantasmée par Karl Friedrich Schinkel, mais non des oripeaux clownesques que revêtent les trois dames, ou de la magie naïve de ses vols, trappes et animaux en peluche – comme une réminiscence, peut-être, du film d'Ingmar Bergman. Tout ce qui, en somme, suffirait à provoquer chez le spectateur un bonheur sans mélange.
Mais ce n'est justement pas tout, loin de là . Car le côté obscur de l'idéal maçonnique aura rarement été montré avant autant de force, en même temps que de finesse. Chasseur glacial dominant du haut de ses échasses des adeptes ayant manifestement subi un lavage de cerveau, Sarastro apparaît en effet dans toute l'ambivalence induite par la distance critique qui nous sépare de la création de l'ouvrage. Sage ou tyran, édifiant ou pontifiant ?
Dans la mesure où Caurier et Leiser coupent le moins possible dans des dialogues souvent taillés à la serpe sous prétexte que le livret de Schikaneder n'arriverait pas à la cheville de la musique de Mozart, le manichéisme présumé du Singspiel est remis en question, tout en évitant le simplisme œcuméniste de la seconde tentative de Robert Carsen, récemment présentée à l'Opéra Bastille. Et lorsqu'au terme de leur initiation, Pamina et Tamino désormais vêtus de gris viennent grossir les rangs du chœur uniforme, la fin de l'innocence – ce passage à l'âge adulte qui abandonne Papageno et son alter ego féminin à l'insouciance de leurs onomatopées – se teinte assurément d'une lueur de regret. Comment ne pas la partager ?
Comment ne pas déplorer, aussi, que l'obstination de l'Orchestre National des Pays de la Loire à bâcler chacune de ses incursions dans le répertoire du XVIIIe siècle – attaques en ordre dispersé, vibrato préhistorique, articulation paresseuse – rende si peu justice à la narration chaleureuse de Mark Shanahan ? Personnels, jamais prévisibles, ses tempi et ses accents dénotent une parfaite symbiose avec le plateau, qui se distingue davantage dans son ensemble que pour ses individualités.
Aux extrêmes de la tessiture, la tranchante netteté d'un suraigu au métal lunaire ne saurait masquer, chez la Reine de la Nuit à cet égard phénoménale d'Olga Pudova, un certain manque d'agilité et de consistance dans le médium, tandis que James Creswell phrase les airs de Sarastro avec suffisamment de noblesse pour pallier l’absence d’envergure du timbre – pas au point, toutefois, de rivaliser avec l'onction que déploie Tyler Duncan en Orateur.
Entre détresse et concupiscence, Éric Huchet est un Monostatos à la fois pervers et pitoyable, voire attendrissant, et Elmar Gilbertson, substitué à Stanislas de Barbeyrac, qui prendra finalement le rôle au festival d'Aix-en-Provence, un Tamino prodigue d'héroïques promesses, qui doit néanmoins parfaire sa technique s'il veut pouvoir les tenir toutes. Quant à Marie Arnet, qui incarnait déjà Pamina en 2006, elle distille la lumière un peu mate d'un instrument que ses fragilités d'intonation et d'émission ne rendent que plus touchant.
Et s’il ressemble comme deux gouttes d'eau à Dietrich Fischer-Dieskau, du moins lorsque celui-ci était encore jeune et joufflu, Ruben Drole laisse passer dans son chant la jovialité un peu mal dégrossie de Walter Berry. Mais au-delà de ces airs de familles, et sans que la claudication due à une méchante blessure à la cheville – et non, comme l’annonce, pince-sans-rire, Jean-Paul Davois, le directeur d’Angers Nantes Opéra, à une décision farfelue des metteurs en scène – n’entrave sa mobilité, ce Papageno-né possède par et pour lui-même la bonhomie et le bagou d'un acteur prodigieux, dont la voix parlée aussi profonde que duveteuse réjouit et captive un public manifestement conquis.
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Grand Théâtre, Angers Le 13/06/2014 Mehdi MAHDAVI |
| Reprise de la Flûte enchantée de Mozart dans la mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser, sous la direction de Mark Shanahan à Angers Nantes Opéra. | Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Die Zauberflöte, Singspiel en deux actes (1791)
Livret d'Emanuel Schikaneder
Chœur d'Angers Nantes Opéra
Orchestre National des Pays de la Loire
direction : Mark Shanahan
mise en scène : Patrice Caurier et Moshe Leiser
décors : Christian Fenouillat
costumes : Agostino Cavalca
Ă©clairages : Christophe Forey
préparation des chœurs : Xavier Ribes
Avec :
Elmar Gilbertson (Tamino), Katia Velletaz (Erste Dame), Émilie Renard (Zweite Dame), Ann Taylor (Dritte Dame), Ruben Drole (Papageno), Mirka Wagner (Papagena), James Creswell (Sarastro), Eric Huchet (Monostatos), Marie Arnet (Pamina), Olga Pudova (Königin der Nacht), Tyler Duncan (Der Sprecher, Erste Priester), Gijs Van der Linden (Zweiter Priester, Erster Geharnischter Mann), Guy-Étienne Giot (Zweiter Geharnischter Mann), Enfants de la Maîtrise de la Perverie de Nantes (Drei Knaben). | |
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