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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Don Giovanni de Mozart dans une mise en scène de Sven-Eric Bechtolf et sous la direction de Christoph Eschenbach au festival de Salzbourg 2014.
Salzbourg 2014 (1) :
Le Diable est dans les détails
Deuxième volet de la trilogie Mozart-Da Ponte de Sven-Eric Bechtolf, ce Don Giovanni de synthèse ne renie aucun aspect de l’œuvre sans proposer de parti pris radical. Un spectacle réussi mais qui laisse une impression légèrement tiédie par l’illustre trilogie précédente, malgré une intelligence et un engagement collectif irréprochables.
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Dans des notes d’intention en forme de demi-aveu d’impuissance, Sven-Eric Bechtolf conteste les approches niant la dimension multiple du personnage de Don Giovanni. Citant abondamment Kierkegaard, le programme rappelle la difficulté à raconter cette histoire au public d’aujourd’hui, hyper-sexualisé et déchristianisé. Il en ressort un spectacle riche, où se superposent de nombreux aspects de l’œuvre, éclairés par divers courants de pensée – Marx, Goethe, Marivaud, les Lumières, le Christianisme, Freud, le tragi-comique.
Il manque pourtant un certain radicalisme pour faire mouche. La finesse, l’habileté sont incontestables, mais on ne se passionne pas vraiment pour ces enjeux conventionnels. L’adultère très ordinaire d’une Zerlina insouciante (Valentina Nafornita piquante) envers son Masetto macho (Alessio Arduini énergique), la mort d’un Commandeur brutal révéré par l’establishment (Tomasz Konieczny débraillé comme trop de Commandeurs), le combat du bien et du mal incarné par le Diable en personne ne suffisent pas.
Le Diable, parlons-en. Tirant les ficelles dès l’ouverture, où on le voit préparer un cocktail explosif dans le bar de l’hôtel qui sera décor unique, puis servir à boire aux trois masques pendant leur trio, enfin Diabolus in machina lorsqu’il sauve Don Giovanni de la vindicte générale à la fin du I, il le massacrera au final, tel Méphistophélès flattant les désirs de Faust aussi loin qu’ils le servent.
Mais si le Mal a une certaine force dans ce spectacle, notamment lors d’une apparition empruntée à Kubrick d’une femme nue portant un masque de Diable au balcon, le Bien n’est représenté que par un ecclésiastique mondain et l’improbable habit de nonne d’Elvira au final. On ne sait si la morale existe, mais l’immoralité est avérée.
La névrose sexuelle également. Campé par un Luca Pisaroni toujours excellent de voix, d’italien, et au jeu comique irrésistible de tics et de mimiques, Leporello est un libidineux sadique avec un transfert total sur son maître, chaque conquête de ce dernier lui occasionnant une montée d’hormones – culminant en la scène de séduction d’Elvira lutinée en même temps par les deux hommes.
Celle-ci, fanciulla dans le livret, est ici juvénile, pas un dragon mûr aux charmes éteints, mais une jeune femme de l’âge de Zerlina, écrasée par une passion sincère qui pourrait bien être un premier amour. Du coup, on regrettera un manque de subtilité marivaudienne qui aurait pu emporter la partie par une dimension plus tendre, plus touchante du personnage. La voix d’une Anett Fritsch musicienne et d’émission soignée n’est nullement en cause, plutôt un certain type de volontarisme et de tonicité qui laisse peu de place à une véritable fragilité.
Névrosée également, cette Donna Anna frigide, Lenneke Ruiten alternant froideurs bourgeoises au I et vulnérabilité à fleur de peau au II, sous la coupe d’un père autoritaire dont elle baisera la statue funéraire, et qui a fait une fixation sur les assauts de violence de Don Giovanni. Son fiancé, Andrew Staples, Don Ottavio militaire voyeur, impuissant, fétichiste lui aussi du déshabillé qu’elle portait pendant l’agression, essaie de la décider à consommer à l’aide de cette relique érotisée, et chante ses deux arias dans un fauteuil, comme pour mieux assumer sa passivité, relayée par une de ces voix désincarnées d’outre-Manche, grazia sans le fruité viennois.
Pour une fois autant révélé par les autres que révélateur, le Don Giovanni d’Ildebrando D’Arcangelo lorgne toujours la rocaille d’un Siepi, avec plus ou moins de bonheur – cette matière noire et sans concession s’enracine parfois sur des approximations d’intonation et pèse sur la Sérénade. Il incarne la volonté du metteur en scène de ne renier ni dramma ni giocoso, et s’il se relève après sa mort pour tenter encore une fois sa chance auprès de la camériste décidément bien farouche d’Elvira, avec un dernier clin d’œil au public, c’est pour ne pas laisser Faust enterrer Marivaud.
Le Philharmonique de Vienne jouerait le jeu sans la direction souvent épaisse et volumineuse de Christoph Eschenbach, plus inspiré, on s’en doute, dans les abîmes de la scène de la statue, les trombones infernaux et les musiques de scène du I très réussies que dans le demi-caractère. Une production intéressante, investie, réfléchie, bien interprétée, mais qui peut sembler pâle face au choc de la précédente trilogie mise en scène par Claus Guth.
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