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CRITIQUES DE CONCERTS |
31 octobre 2024 |
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Liederabend du baryton Christian Gerhaher accompagné au piano par Gerold Huber au festival de Salzbourg 2014.
Salzbourg 2014 (3) :
Gerhaher n’est toujours pas drôle
Comme toujours passionnant, le tandem Christian Gerhaher-Gerold Huber s’illustre dans un austère programme Goethe consacré à Schubert et Wolfgang Rihm couronné par la remise au baryton du Prix de la critique du disque allemand. Une consécration méritée même si le miracle du programme Schumann de l’an dernier demeure inégalé.
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On ne soulignera jamais assez la différence entre le « naïf » Schubert et le « sentimental » Schumann, au sens où l’entend Schiller quand il parle de poésie. Rares sont les interprètes qui évoluent avec le même bonheur dans les deux univers. On pense à Wunderlich, évident dans sa gravure de la Belle Meunière, assez plat dans celle des Dichterliebe.
Christian Gerhaher serait un peu l’inverse. Les chiffres, les énigmes, la folie sous-jacente, le mal-être dévorant les pages les plus joyeuses de Schumann sont son royaume. La simplicité, la pure élégance viennoise de Schubert résistent en revanche à son chant qui serait l’égal d’un Fischer-Dieskau s’il savait mieux dissiper les ombres qui y planent toujours.
Avec talent, sincérité, génie même, il nimbe tout d’une obscurité mortifère, d’un poison mélancolique, jusqu’à l’ultime Willkommen und Abschied du programme, douloureuse remémoration d’un amour perdu en lieu et place d’exultation amoureuse. Passionnant, et le jeu entre présent et passé du poème y gagne un éclairage créatif.
Mais cette manière de relayer le bonheur dans l’irrémédiablement perdu ou l’impossible finit par écraser une des ressources expressives de la poésie romantique allemande : le malheur n’y est déchirant que parce que le bonheur est tout proche. Un désespéré lucide fait un assez médiocre romantique.
Pas question ici de médiocrité, tout au plus rappelons-nous que la joie – la corde la plus ténue de la lyre du baryton – est essentielle chez les Romantiques. Même s’il compense admirablement avec les autres cordes, le je lyrique, central dans cette poésie, y perd une dimension particulièrement riche chez Schubert – la faculté d’émerveillement et l’enthousiasme.
Le programme éclaire à la fois la dualité et la cohérence de la poésie du plus universel des auteurs de langue allemande : la profonde philosophie qui irrigue les pages en apparence plus légères de Goethe trouvent évidemment en Gerhaher un serviteur zélé. Mais le rapprochement entre les textes choisis par Schubert – dont le spectaculaire Erlkönig a été écarté du programme, preuve s’il en fallait de la probité des artistes – et par Wolfgang Rihm (né en 1952) – six des treize Goethelieder et la création autrichienne de Harzreise im Winter – apporte de l’eau à notre moulin.
Le contemporain a retenu des textes philosophiques, aphoristiques, phénoménologiques, hermétiques, intellectuels. Le Romantique a préféré l’effusion sentimentale, la peinture directe des états d’âme. La musique de Rihm, grave, angoissée, mystérieuse, ici extérieure, là hymnique, se souvient des rythmes de valse et du Volkston, tandis que Schubert révèle dès les précoces Sehnsucht, Hoffnung et Nachtgesang son imagination durchkomponiert et son intuition strophique.
Secondé par un Gerold Huber souverain, d’une précision et d’une sobriété assez hallucinantes – ces basses rythmiques bien timbrées qui ne couvrent pas le chant dans Kronos, la mélodie de la main droite qu’abandonne la voix dans la dernière strophe de An den Mond, ronde et caressante –, d’une classe qui n’est pas sans rappeler Gerald Moore, le baryton déploie sa palette caméléon, allant du parler au lyrique, du blanc au chauffé à blanc, du mordant à l’éteint, avec une attention captivante au mot et à la couleur.
Leur Schubert est dépressif, morne, ascétique, et les Harfenspieler en sortent magnifiés, rhapsodiques et comme brisés d’avance – l’anaphore expressionniste du début du 2 –, sans nul attendrissement. Le même ton austère empreint les Goethelieder de Rihm dans une méditation tout aussi désabusée sur la condition humaine.
Puis s’esquisse cette joie blafarde qu’on voudrait plus sincère, dont on ne sait si elle est délibérée – Schäfers Klagelied y puise une vraie portée métaphysique – ou subie – l’intériorité des premières strophes de An den Mond, sans tendresse, avant une cinquième strophe brutale, deux Wandrers Nachtlied, le second en bis, sans plaisir contemplatif, sans espoir de réconciliation.
Curieusement, c’est dans l’inachevé Mahomets Gesang que Gerhaher s’approcherait le plus d’une joie sans détours, alors que la musique débouche brusquement sur une page blanche, enchaînant sur un Ganymed précipité et tout sauf sensuel. Décidément, Gerhaher n’est toujours pas drôle, et c’est ici un rien moins pour nous plaire que l’année passée dans Schumann…
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Haus fĂĽr Mozart, Salzburg Le 05/08/2014 Thomas COUBRONNE |
| Liederabend du baryton Christian Gerhaher accompagné au piano par Gerold Huber au festival de Salzbourg 2014. | Franz Schubert (1797-1828)
Harfenspieler
Wolfgang Rihm (*1952)
Goethelieder (extraits)
Franz Schubert
Sehnsucht, Am Flusse, Hoffnung, Schäfers Klagelied, Wonne der Wehmut, An den Mond, Nachtgesang, Wandrers Nachtlied, Jägers Abendlied, Prometheus, Mahomets Gesang, Ganymed, An Schwager Kronos
Wolfgang Rihm
Harzreise im Winter (création autrichienne)
Franz Schubert
Wilkommen und Abschied
Christian Gerhaher, baryton
Gerold Huber, piano | |
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