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CRITIQUES DE CONCERTS |
31 octobre 2024 |
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Création mondiale de Charlotte Salomon de Marc-André Dalbavie dans une mise en scène de Luc Bondy et sous la direction du compositeur au festival de Salzbourg 2014.
Salzbourg 2014 (4) :
La vie ou le théâtre
Création en demi-teinte de l’opéra de Marc-André Dalbavie Charlotte Salomon d’après l’autobiographie illustrée de l’artiste, où la mise en scène conventionnelle de Luc Bondy ne rend pas tout à fait justice ni à la partition, ni au propos théâtral, ni à un engagement musical sans faille. Peut-être ne devions-nous pas espérer le renouveau du miracle Nono ?
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Le Manège des rochers de Salzbourg (Felsenreitschule) et l’opéra contemporain font depuis toujours bon ménage. Plusieurs raisons à cela, dont une acoustique franche, un vaste espace pour les orchestres pléthoriques, des galeries pour les chœurs ou groupes instrumentaux spatialisés, un décor unique taillé dans la roche, les moyens financiers de la machine Salzbourg, et bien sûr l’orientation historique du festival avec la création comme grand axe.
C’est donc avec le souvenir magnifique des Soldats de Zimmermann ou plus encore d’Al gran sole carico d’amore de Nono que nous abordons cette création de Charlotte Salomon, l’opéra de Marc-André Dalbavie d’après Leben? oder Theater?, l’autobiographie illustrée de l’artiste éponyme assassinée à Auschwitz en 1943, sur un livret en allemand et en français mêlant réalité et imaginaire.
La partition fait la part belle à la citation, profitant d’une mise en abyme suggérée par les nombreux personnages musiciens de l’intrigue. Carmen, le Freischütz, Wandrers Nachtlied I de Schubert, Nous n’irons plus au bois irriguent ainsi un flot musical très polarisé, ponctué d’oscillations entre deux accords, de longues plages tenues, d’échelles mélodiques modales plus ou moins irrégulières dans des textures souvent lumineuses en pupitres divisés, de soudaines brutalités.
La déclamation du français se souvient de Pelléas, mais avec un traitement variable des e muets et des liaisons, signe d’un malaise franco-français trop répandu avec les niveaux de langue, d’une peur de la langue soutenue. La traduction pas toujours enthousiasmante de Johannes Honigmann en fera les frais, ne reculant pas devant les naïvetés, ainsi que des esprits chagrins mal inspirés avaient pu le reprocher au livret de Maeterlinck, pourtant autrement plus mystérieux et moderne.
Devant la force du propos et l’authenticité de l’œuvre, la naissance à la vie de la jeune femme par le geste artistique de se raconter, de se nommer, on aurait espéré une proposition théâtrale moins conventionnelle. Luc Bondy se cantonne malheureusement, en dépit du potentiel d’une juxtaposition de lieux et de temps cloisonnés en enfilade dans l’immense ouverture de scène de la Felsenreitschule, à une approche extrêmement convenue.
À peine le dispositif scénique, qui au passage fait abstraction totale du lieu, pourtant très riche de possibles, est-il exploité au prologue – présentation des personnages – et à l’épilogue – le train – ; pour le reste, entre clichés sur les Nazis et hystérie du troisième âge, scénographie et direction d’acteurs ont pour seul relief d’intégrer habilement les illustrations d’origine de l’artiste. Même les défenestrations, thème récurrent de l’œuvre, prêtent à rire tant on voit l’intendance.
Reste un Orchestre du Mozarteum en grand éclat, maîtrisé, précis, évocateur, dirigé avec implication par le compositeur en personne, et un plateau qui aligne quelques très belles réussites – et beaucoup de natifs francophones, fait rare dans la ville de Mozart. Si Marianne Crebassa, étoile filante de Salzbourg, fait en miroir de la pétillante Johanna Wokalek étal d’une projection et d’une matière intéressantes dans une incarnation sensible, nous conserverons quelques prudentes réserves sur une diction approximative, quelques duretés ou grosseurs ici ou là .
Le mezzo moelleux d’Anaïk Morel fait mouche dans une Paulinka aigre-douce très chanteuse, jusque dans ses approximations dans le Wandrers Nachtlied I orchestré dans la partition – d’autres divas se les permettraient dans la vraie vie –, tandis que les grands-parents balancent entre une exotique mais dramatique Cornelia Kallisch façon Première Prieure, et un Vincent Le Texier charbonneux et bien usé.
Ce sont surtout les ténors qui tirent leur épingle du jeu, Éric Huchet impayable de projection franche et de diction limpide, et surtout Frédéric Antoun, qui réunit l’éloquence, l’élégance, la facilité, avec un français parfait, une ampleur non dénuée de velours, un équilibre diabolique entre théâtralité, musicalité et technique. Brillant, et l’on regrette d’autant plus une mise en scène très en deçà du choc esthétique éprouvé devant les œuvres de Nono et Zimmermann citées plus haut, vraiment empoignées par le metteur en scène.
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Felsenreitschule, Salzburg Le 07/08/2014 Thomas COUBRONNE |
| Création mondiale de Charlotte Salomon de Marc-André Dalbavie dans une mise en scène de Luc Bondy et sous la direction du compositeur au festival de Salzbourg 2014. | Marc-André Dalbavie (*1961)
Charlotte Salomon, opéra en deux actes avec prologue et épilogue
Livret de Barbara Honigmann d’après Vie ? ou Théâtre ? de Charlotte Salomon
Création mondiale, commande du festival de Salzbourg
Mozarteumorchester Salzburg
direction : Marc-André Dalbavie
mise en scène : Luc Bondy
décors : Johannes Schütz
costumes : Moidele Bickel
Ă©clairages : Bertrand Couderc
Avec :
Johanna Wokalek (Charlotte Salomon), Marianne Crebassa (Charlotte Kann), Anaïk Morel (Paulinka Bimbam), Frédéric Antoun (Amadeus Daberlohn), Vincent Le Texier (Herr Knarre / Quatrième Nazi), Cornelia Kallisch (Frau Knarre), Géraldine Chauvet (Franziska Kann / une femme), Jean-Sébastien Bou (Docteur Kann / premier émigrant), Michal Partyka (Professeur Klingklang / étudiant en art / Deuxième Nazi / un policier), Éric Huchet (Le professeur d’art / le Ministère de la Propagande / Premier Nazi / un homme / deuxième émigrant), Annika Schlicht (L’étudiante en art du Tyrol / l’aubergiste), Wolfgang Resch (Troisième Nazi). | |
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