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CRITIQUES DE CONCERTS |
31 octobre 2024 |
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Reprise de Lohengrin de Wagner dans la mise en scène de Hans Neuenfels et sous la direction d’Andris Nelsons au festival de Bayreuth 2014.
Bayreuth 2014 (1) :
Le triomphe des rats
Ovation délirante et debout pour Klaus Florian Vogt, applaudissements frénétiques pour toute l’équipe, le Lohengrin de Hans Neuenfels à Bayreuth, pour son cinquième été sur la Colline, suscite une unanimité à peine croyable pour qui se souvient de la bronca ayant accueilli la mise en scène en 2010. Un véritable triomphe pour les rats.
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Comme l’avait si justement analysé le regretté Patrice Chéreau, Bayreuth est l’archétype du public conservateur au sens premier du terme, qui rejette d’abord en bloc, accepte ensuite et souhaiterait enfin conserver ce qui existe déjà , de peur d’être confronté à pire plus tard.
Aussi fortement qu’il l’avait vilipendé lors de la première à l’été 2010, le public réserve aujourd’hui un triomphe absolu à cette reprise du Lohengrin de Hans Neuenfels, arrivé au fatidique stade de la cinquième année de présence sur la Colline, après laquelle sont généralement abandonnées les productions.
Il y aurait beaucoup à redire sur cette mise en scène « totalement imbitable » selon l’expression d’un confrère, transformant la dramaturgie médiévale du livret en espace clos de laboratoire futuriste où une humanité de rongeurs est soumise aux expériences de scientifiques. Un parti pris kafkaïen qu’on peut rejeter en bloc tant il tire le texte, mais que la proximité du Tannhäuser abominable de Sebastian Baumgarten rend nettement plus acceptable.
D’autant que la scénographie est ici de toute beauté, changements de dispositif à vue typiques de la machinerie illusionniste de Bayreuth, et l’on se laisse porter par une opposition élémentaire yin-yang qui, pour être manichéenne, n’en fonctionne pas moins à chaque instant.
Et l’on trouve toujours autant de vérité dramatique à la manière dont Lohengrin secoue la triste léthargie culpabilisatrice d’Elsa, au carrosse accidenté d’Ortrud, et à quelques images fortes, comme cette nacelle entre berceau et cercueil émergeant du lit nuptial, ou encore cet héritier du Brabant en prématuré monstrueux.
On accepte d’autant mieux les moqueries envers les passages les plus faibles de la musique, et notamment les transitions instrumentales du II et du III, l’un des rares exemples de musique au kilomètre chez Wagner, objet ici de blagues potaches entre rats, de petit ballet décalé ou encore de défilé façon revue qui suscitent dans la salle un amusement sincère.
Dans la distribution, l’Elsa d’Annette Dasch a cédé la place à Edith Haller, habituée aux emplois secondaires à Bayreuth depuis quelques années, voix toujours aussi franche et directe, caractère bien trempé et projection béton, mais aigus vraiment proches du cri et voyelles indistinctes dès le haut-médium. On préférait malgré la voix qui bouge le personnage infiniment plus vulnérable campé par sa consœur.
À son poste pour la troisième année, le Telramund de Thomas Johannes Mayer, en rien colossal de format, a tendance à se laisser piéger par le retour très fort de l’orchestre sur le plateau, et s’époumone au lieu de profiter du rendu en salle très favorable aux voix. Au moins son personnage a-t-il une carrure dramatique et un certain impact des mots, voire des aigus lorsqu’il ne met pas trop son instrument sous pression.
Situation inchangée pour le reste du cast : Héraut fier comme une trompette, génialement accroché de Samuel Youn, Roi Heinrich peinant dans l’aigu mais d’une authentique stature torturée et d’une ampleur de basse dans les graves de Wilhelm Schwinghammer, Ortrud somnambulique de Petra Lang, feulements de tigresse et timbre de tragédienne, rôle majeur pour cette mezzo à l’évolution si étonnante.
À tout seigneur tout honneur, terminons par le héros de la production, le miraculeux Klaus Florian Vogt, négatif vocal absolu du grand ténor du moment Jonas Kaufmann, aussi lumineux, clair et naturel que son rival est noir, barytonnant et construit, dans une de ces incarnations qui resteront gravées dans les mémoires.
Deux minutes de délire puis une standing ovation comme un seul homme, le Heldentenor le plus atypique du moment est salué comme le miracle qu’il est, celui d’une voix aussi puissante qu’émise sans une once d’artifice, d’une pureté absolue de diction, d’un timbre adolescent, capable des plus magnifiques pianissimi de ténor qu’on ait entendus sur une scène wagnérienne – son Heil dir, Elsa, impalpable mais avec du timbre, plus anthologique encore qu’il y a trois ans.
Seul bémol de cette soirée d’exception, si les chœurs n’ont jamais été aussi précis, calibrés, fins et éloquents à la fois dans cette production, la direction d’Andris Nelsons marquerait un léger recul par rapport aux sommets atteints en 2011 et conservés par la captation (Opus Arte).
Les passages célestes et immatériels demeurent sublimes, les abîmes du monde maléfique hantés par d’effrayants raclements de contrebasses, les transitions lunaires dans des sommets de raffinement instrumental, mais le traitement des masses paraît plus paresseux, attaques émoussées et urgence moindre. Vétille au regard d’un des accomplissements majeurs du Bayreuth de ces dernières années, que le festival a décidé de reconduire pour 2015.
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Festspielhaus, Bayreuth Le 09/08/2014 Yannick MILLON |
| Reprise de Lohengrin de Wagner dans la mise en scène de Hans Neuenfels et sous la direction d’Andris Nelsons au festival de Bayreuth 2014. | Richard Wagner (1813-1883)
Lohengrin, opéra romantique en trois actes (1853)
Livret du compositeur
Chor und Orchester der Bayreuther Festspiele
direction : Andris Nelsons
mise en scène : Hans Neuenfels
décors & costumes : Reinhard von der Thannen
Ă©clairages : Franck Evin
vidéo : Björn Verloh
préparation des chœurs : Eberhard Friedrich
Avec :
Wilhelm Schwinghammer (König Heinrich), Klaus Florian Vogt (Lohengrin), Edith Haller (Elsa von Brabant), Thomas J. Mayer (Friedrich von Telramund), Petra Lang (Ortrud), Samuel Youn (Der Heerrufer des Königs), Stefan Haibach (1. Edler), Willem Van der Heyden (2. Edler), Rainer Zaun (3. Edler), Christian Tschelebiew (4. Edler). | |
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