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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 décembre 2024 |
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Reprise de Siegfried de Wagner dans la mise en scène de Frank Castorf et sous la direction de Kirill Petrenko au festival de Bayreuth 2014.
Bayreuth 2014 (4) :
La Belle et le Crocodile
Toujours chez les truands ratés, le Siegfried de Castorf fait la part belle aux gags et boude toute effusion sentimentale. Mi-nostalgique mi-critique de l’ancienne RDA, le spectacle s’aventure dans une juxtaposition de plus en plus délirante, famille crocodile, dictateurs, oiseau nymphomane, compagnies pétrolières, sur fond de pizzeria de Walt Disney.
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Bons baisers d’Eltsine
Chambre déséquilibrée
RĂ©gal ramiste
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Chronologie toujours compliquée pour ce Siegfried situé à moitié dans un imaginaire Mont Rushmore à l’effigie des grandes figures du communisme, à moitié sur Alexanderplatz. La narration s’y fait compliquée, certains gags semblant de plus en plus gratuits et d’une cohérence hermétique avec la nostalgie des grandes utopies transformées en bain de sang par quelques tyrans plus opportunistes qu’illuminés.
On retrouve le Mime léger et couinant de Burkhard Ulrich dans son mobile-home métallisé, au passage d’une précision diabolique dans ses coups de marteau, qui a bien du mérite d’avoir éduqué un rejeton aussi infect que hurlant, Siegfried épouvantable de Lance Ryan, qui ferait bien d’envisager Mime comme une piste d’avenir proche tant l’émission est aboyée et droite, avec une pétoire qui en deviendrait presque un défaut. Supportable au I, difficile au II, impossible au III, on frémit déjà à l’idée de la dernière journée qui nous attend.
Portrait craché de son grand-père, sanguin, obsédé sexuel, vulgaire, violent et lâche, il n’a pas peur des femmes que quand il s’agit de les persuader de conclure. L’Oiseau de la forêt de Mirella Hagen, voix ici tout de même bien pincée, copine de trottoir d’Erda à la mode emplumée du Moulin Rouge, en fera les frais avec une volupté non dissimulée.
Toujours très présent, l’employé de Wotan de Rheingold qui tenait la station-service sert ici de machine à tout faire, tour à tour ours, forge, goûteur de potion, maître d’hôtel. Ses interventions serviront encore beaucoup à meubler les longues plages des énigmes du Wanderer, Wolfang Koch égal à lui-même, pas franchement classe, et qu’on imagine très facilement en Siegfried décrépit.
La forêt réduite à l’Alexanderplatz berlinoise hantée par la RDA est un défi à l’imagination. Le dialogue avec l’oiseau sur le cor et le roseau se fait ici avec les barquettes et autres bouteilles ramassées dans les poubelles, et un Fafner qui a dû trop séjourner dans les boulangeries souterraines (à en juger par sa lourdeur au combat) se pavane avec sa bande de prostituées.
Le « dragon », flanqué d’un crocodile en plastique, menace tout ce qu’il peut, petit caïd vite assassiné par un Siegfried à la gâchette (de Notung) facile – la salve de mitraillette fatale était annoncée par des affiches pour éviter les accidents cardiaques.
Mais c’est le III qui a tout ensemble la palme du drôle et du captivant. Dans une scène intense et désopilante autour d’une table tout droit sortie de la Belle et le Clochard, un Wotan aviné retrouve une Erda en guêpière et vison pour d’improbables spaghettis bolognaise – toujours la gloutonnerie – autour de quelques bouteilles de vin, avant une dispute en bonne et due forme autour de la question de Brünnhilde.
Après s’être éclipsée pendant la longue tirade triomphale de Wotan, Erda reparaîtra en perruque blonde bouclée pour une ultime fellation, mais la présentation de l’addition par le serveur fera fuir le dieu prétextant l’arrivée de Siegfried. Enfin, après une confrontation à distance, ce dernier accèdera au rocher – une bâche en plastique couvrant Brünnhilde au pied du même Mont Rushmore.
Dans un duo quotidien, se terminant à la même table à carreaux que leurs ascendants, Siegfried visiblement impatient de passer aux choses sérieuses, Brünnhilde racontant ses problèmes personnels, les amants sympathisent avec les fameux crocodiles qui eux copulent sans vergogne, la femelle finissant par engloutir l’Oiseau de la forêt revenu se jeter dans sa gueule.
On rit beaucoup, évidemment, même si certaines idées se tiennent, notamment les relations au sein des deux couples, en cohérence avec le postulat de départ. Pourtant on ne peut se satisfaire tout à fait du manque d’enjeu entre les deux héros, et rarement le livret du duo aura paru aussi bavard, malgré la bonne surprise d’une Catherine Foster étonnamment à l’aise dans la tessiture héroïque de ce volet, dernier aigu miaulé excepté.
On n’a pas assez souligné combien Kirill Petrenko tirait de la partition d’orchestre d’innombrables détails proprement inouïs, textures, doublures, accents. Il est d’autant plus frustrant de ne jamais pouvoir s’abandonner à l’expressivité de sa direction dramatique et charpentée, mais aussi clairvoyante, l’attention constamment happée vers des actions accessoires ou loufoques relayées par la vidéo.
On attend avec impatience le dénouement de cette histoire déracinée de son terreau romantique, où la passion évitée méticuleusement laisse la place à une galerie de portraits sans concession. Y aura-t-il une clé pour toutes les portes entrouvertes ?
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