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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Concert de l’Orchestre de Paris sous la direction de Guennadi Rozhdestvenski, avec la participation de la pianiste Viktoria Postnikova à la salle Pleyel, Paris.
Le dernier dinosaure
Ultime maestro de l’ère soviétique à pouvoir se targuer d’avoir été un proche de Chostakovitch, Guennadi Rozhdestvenski fournit une nouvelle preuve de ses accointances avec l’univers du compositeur dans une exécution parfaitement idiomatique de la Quinzième Symphonie, à la tête d’un Orchestre de Paris galvanisé.
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Inutile de le nier, c’est essentiellement pour la deuxième partie de ce concert de l’Orchestre de Paris sous la férule de l’octogénaire Guennadi Rozhdestvenski que l’on se rendait ce soir à Pleyel, dans l’espoir de l’entendre une nouvelle fois démontrer à quel point il a fait siens le langage et l’univers si particuliers de Chostakovitch, qu’il a compté parmi ses amis.
Pour autant, on ne boude pas son plaisir en première partie, face notamment au rarissime Fragment de l’Apocalypse d’Anatoli Liadov, bain sonore d’une dizaine de minutes que le chef russe propulse avec une tension souterraine constamment prête à l’explosion, balisant le chemin aussi tortueux que figuraliste de cette évocation biblique au souffle typiquement slave.
Et si l’épouse du maestro, la pianiste Viktoria Postnikova, distille un sentiment d’évidence tout au long du Premier Concerto de Glazounov, la partition n’en demeure pas moins secondaire, style romantique passéiste ne parvenant jamais à trancher entre Liszt, Tchaïkovski et Rachmaninov.
C’est surtout dans le deuxième (et dernier) mouvement, un habile thème et variations, que l’on salue les trouvailles du compositeur, son jeu avec les timbres de l’orchestre, ici un triangle, là un violoncelle solo ; la maestria de Madame Postnikova, bien réelle dans ces pages, deviendra toucher impayable dans la Tabatière de Liadov donnée en bis, boîte à musique plus vraie que nature.
Après l’entracte, Rozhdestvenski gagne le pupitre pour une exécution de l’ultime symphonie de Chostakovitch, le geste toujours malicieux, dirigeant au milieu des instrumentistes, primus inter pares au pied du podium plutôt que dessus et toujours debout à quatre-vingt-trois ans.
On connaît trop les timbres crus, acides voire coruscants, les touches de grotesque revendiquées de son intégrale discographique des années 1980 avec l’Orchestre d’URSS, pour ne pas apprécier ce soir une approche plus posée, prenant son temps, scrutant chaque détail avec une hauteur de vue et un sentiment de continuité assez extraordinaires.
Dans ce parcours à la façon du catalogue d’idées musicales, du panel d’évocations du passé en tous genres à l’approche de la mort, Rozhdestvenski laisse percevoir d’emblée une inquiétude, une gravité jusque dans les citations de Guillaume Tell, souvenirs empoisonnés proposant un éclairage fascinant sur ce chant du cygne souvent plus anodin en son premier mouvement.
Mécanique parfaitement huilée, tempo assis, rythmes impeccablement ciselés sous une chape de pessimisme, l’Allegretto initial n’a rien à envier au Scherzo, bassons et contrebasson goguenards, tempo considérablement freiné, qui déploie les vastes ailes d’un oiseau de mauvais augure.
Les plages lentes, très habitées, font en outre entendre un Orchestre de Paris en majesté. Si le violon solo de Roland Daugareil manque d’impertinence en n’osant jamais assez, le violoncelle d’Éric Picard insuffle une dimension tragique à son important solo de l’Adagio, moment aussi fort que les interventions superbement mordorées du trombone de Jonathan Reith.
Comme la majorité de ses confrères russes, Rozhdestvenski opte in fine pour un tempo plutôt rapide dans les géniaux cliquetis de percussion à la manière du matériel de surveillance médicale affolé, ne cherchant pas même à brider la nuance d’interventions que les chefs occidentaux préfèrent souvent plus fondues.
Lumière crue, sans fard ni filtre, spatialisation jouissive, le célesta derrière les premiers violons, loin du reste de la percussion, on est saisi par cette démonstration claire, nette et sans bavure, sans regret ni regard en arrière. L’opposé de la recréation sonore lentissime et tout aussi fascinante pour laquelle avait opté un Claus Peter Flor avec le même Orchestre de Paris à Mogador en 2005.
Un sentiment unique d’authenticité, une modestie de grand seigneur au moment de détourner les applaudissements sur la partition brandie tel un étendard signent une soirée symphonique d’exception, sous la houlette du dernier des dinosaures de la direction soviétique.
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Salle Pleyel, Paris Le 15/10/2014 Yannick MILLON |
| Concert de l’Orchestre de Paris sous la direction de Guennadi Rozhdestvenski, avec la participation de la pianiste Viktoria Postnikova à la salle Pleyel, Paris. | Anatoli Liadov (1855-1914)
Fragment de l’Apocalypse op. 66 (1913)
Alexandre Glazounov (1865-1936)
Concerto pour piano n° 1 en fa mineur op. 92 (1912)
Viktoria Postnikova, piano
Dimitri Chostakovitch (1906-1975)
Symphonie n° 15 en la majeur op. 141 (1972)
Orchestre de Paris
direction : Guennadi Rozhdestvenski | |
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