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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Première au Grand Théâtre de Genève d'Eugène Onéguine de Tchaïkovski dans la mise en scène de Robert Carsen, sous la direction de Michaïl Jurowski.
Automne et désolation
Sur fond de très belles images d'automne et de désolation, la reprise de la mise en scène du Metropolitan Opera de New York d'Eugène Onéguine connaît un franc succès au Grand Théâtre de Genève. Une faveur justifiée par des rôles très bien distribués et la mise en scène intelligente autant que plastique de Robert Carsen.
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Eugène Onéguine représente à bien des égards une œuvre majeure et nouvelle dans la tradition russe. Rompant avec la tradition des opéras historiques issus d'Ivan Soussanine de Glinka, comme avec celle féérique de Rousslan et Ludmila, Tchaïkovski, en adaptant le poème de Pouchkine en opéra, dépeint avec ces scènes lyriques de vrais drames intimes déjà tchékhoviens et porte sur scène sa propre conception du réalisme russe.
Aussi était-il important de respecter le contexte d'une société comme l’a fait Robert Carsen, replaçant bien l'action au XIXe. Pour autant, la mise en scène a cette grande clarté d'expurger tout verbiage psychologique théâtral, au profit des lignes essentielles du drame. Exit donc les multiples jeux de doubles entre les différents protagonistes signifiés par le texte et les situations.
Au lever de rideau, le Canadien choisit de porter sur scène le fondement du drame, pourtant invisible du livret de Tchaïkovski et Chilovski : la lecture par Onéguine des lettres d'amour de Tatiana, scène-clé du drame où tout aurait pu basculer si le protagoniste principal n'était esclave de ses représentations sociales.
La mise en scène joue sur quelques images signifiantes fortes – une Tatiana brisée et humiliée, un Onéguine sacrifiant aux rites interminables de la toilette pour briller en société – auxquelles s'ajoute un travail d’éclairages remarquable, donnant la tonalité émotionnelle de chacune des scènes, à l'image de ces ombres dans un paysage bleuté et désolé lors du duel.
Somme toute, ce travail de lumière consiste à subtilement déthéâtraliser l'ouvrage pour mieux l'opératiser, estompant le mouvement théâtral superflu pour laisser émerger une scénographie d'images davantage contemplatives : une option qui a le mérite de privilégier l'émotion du drame musical en évitant les excès d'une exégèse intellectualiste. Pour autant, Carsen sait questionner la dramaturgie et montre sa capacité à livrer un spectacle cohérent et d'excellente tenue.
Une réussite d'autant plus appréciable que la distribution se révèle homogène comme rarement. Michael Nagy campe un Onéguine aussi froid et sûr de lui qu'il termine rongé par la passion et le remords. D'une belle présence mâle, puissante, il fait partie de ces barytons à large tessiture dont la voix est sainement construite à partir d'un noyau bien défini, même si le timbre pourrait gagner en identité.
Face à lui, Edgaras Montvidas est un Lenski idéal et fiévreux, aux aigus rayonnants et au timbre clair, aussi enchanteur que celui, jadis, d'un Lemeshev, mais dont l'accroche enflammée toujours sur le fil apporte ce surcroît de fébrilité et de dramatisme tourmentés qui tranche avec l'évanescence de son illustre prédécesseur. Tatiana également passionnée, Maija Kovalevska enflamme le III avec de solides moyens vocaux. Le Prince Grémine de Vitalij Kowaljow, au noble matériau assez remarquable, joue quant à lui sur la force tranquille et ancrée du personnage.
Pour ses débuts à Genève, Alan Woodbridge, qui en vingt ans a fait des chœurs de l'Opéra de Lyon parmi les plus brillants du monde lyrique, dont on retrouve encore incontestablement la marque dans la production lyonnaise actuelle du Vaisseau fantôme, réalise ici à Genève un beau travail de clarté et de puissance.
En deux mois, les Chœurs du Grand Théâtre ne portent pas encore tout à fait sa signature ; fort probablement, son travail aura tout loisir de se développer, même si l'acoustique du parterre du Grand Théâtre rendra moins justice à son travail en nivelant et étouffant les qualités des voix solistes et des chœurs bien davantage qu'à Lyon.
En fosse, la baguette de Michaïl Jurowski rend la transparence de l'écriture orchestrale de cet opéra intimiste avec une grande réussite, notamment dans le travail des cordes et des bois. On est plus circonspect sur sa maîtrise du temps théâtral, où à force d'éviter les chichis, l'agogique pêche parfois par empressement et manque d'acuité dramatique. L'expression lyrique des chanteurs tirerait aussi avantage d'une respiration orchestrale plus posée.
Une réserve qui toutefois n'entame pas la grande réussite de ce spectacle dont on gardera en mémoire les magnifiques images automnales.
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Grand Théâtre, Genève Le 19/10/2014 Benjamin GRENARD |
| Première au Grand Théâtre de Genève d'Eugène Onéguine de Tchaïkovski dans la mise en scène de Robert Carsen, sous la direction de Michaïl Jurowski. | Piotr Illitch Tchaïkovski (1840-1893)
Eugène Onéguine, scènes lyriques en trois actes et sept tableaux (1879)
Chœur du Grand Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse romande
direction : Michail Jurowski
mise en scène : Robert Carsen
reprise de la mise en scène : Paula Suozzi
scénographie & costumes : Michael Levine
Ă©clairages : Jean Kalman
préparation des chœurs : Alan Woodbridge
Avec :
Doris Lamprecht (Madame Larine), Maija Kovalevska (Tatiana), Irina Shishkova (Olga), Stefania Toczyska (Filippievna), Michael Nagy (Eugène Onéguine), Edgaras Montvidas (Lenski), Vitalij Kowaljow (Le Prince Grémine), Michel de Souza (Un capitaine), Harry Draganov (Zaretski), Raúl Giménez (Monsieur Triquet). | |
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