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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Première à l’Opéra de Lille de Castor et Pollux de Rameau dans la mise en scène de Barrie Kosky et sous la direction d'Emmanuelle Haïm.
Castor chez Topor
Après Dijon fin septembre, le metteur en scène australien Barrie Kosky confirme à l’Opéra de Lille le périlleux équilibre entre l'intelligence des effets et la simplicité des moyens dans le Castor et Pollux de Jean-Philippe Rameau. Un théâtre musical au plus près de la définition du baroque et qui soulève d'enthousiasme.
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Les amateurs de reconstitution prétendument historiques passeront pudiquement leur chemin. Point ici de baroque étouffant sous la poudre et la naphtaline idéologiques, mais au contraire l'émergence du sentiment musical dans sa plus pure radicalité. Ce théâtre-là se nourrit de l'importance des gestes et du double langage des corps en mouvement – langage qui n'hésite pas à contredire et bousculer les convenances du livret de Castor et Pollux.
Pour parvenir à dégager l'énergie en restant au plus près de la musique de Rameau, Barrie Kosky place ses personnages dans un décor unique, sorte de boîte en bois brut avec un minimum d'éléments et d'accessoires. Seul le jeu de deux cloisons coulissant verticalement permet d'articuler les scènes entre elles.
Cette césure visuelle permet de passer outre les très embarrassantes et inutiles gesticulations chorégraphiées, dont une bonne partie rend imbitable la première version de 1737. Les ballets n’ont certes pas totalement disparu dans cette version remaniée en 1754, mais en les supprimant à des moments stratégiques, l'action gagne en vivacité et en lisibilité.
Subtilité encore quand un panneau relevé sert de paravent à l'action qui se passe juste derrière. Il suffit d'apercevoir la vitesse de déplacement ou l'impact des pieds sur le sol pour saisir immédiatement la caractérisation psychologique de tel ou tel personnage, figé par le désespoir au beau milieu de la liesse générale ou bien brûlant d'un amour indicible.
D'un bout à l'autre de l'ouvrage, figurants et chanteurs forment une troupe engagée dans un rapport de violence et de beauté, jusqu'à porter les mouvements jusqu'aux limites de l'essoufflement des corps. L'exigence du baroque à vouloir manifester les affects par une catharsis continue est ici prise au pied de la lettre. On fouille la terre à mains nues, geste d'exaspération et de tourment pour y ensevelir le cadavre des héros, les corps s'écrasent à même le sol ou se heurtent aux parois dans une tentative désespérée d'échapper à ce destin métaphorique.
Ce travail passionnant puise sans retenue dans l'imaginaire et les références picturales et cinématographiques : le pastel niais des costumes en tergal ou celui, plus inquiétant, des robes façon fillettes démoniaques dans Shining de Kubrick. Roland Topor n'aurait pas dédaigné non plus ce Mercure myope aux pieds ensanglantés, le Grand-Prêtre en étrange figure aux doigts arachnéens ou ce Jupiter au visage voilé et haut-de-forme qui prend par la main Castor et Pollux et les emporte avec lui.
À la toute fin, il ne reste à Télaïre que les yeux pour pleurer, tandis qu'une fine pluie d'étoiles vient ruisseler sur les chaussures des deux frères – seul témoignage de leur présence sur Terre, telles ces sandales de bronze qu'Empédocle laissa au bord de l'Etna avant de s'y jeter. Mais il faut à ce théâtre une enveloppe musicale à la hauteur des enjeux.
La scansion pas toujours lisible d'Emmanuelle Haïm crée quelques décalages entre fosse et scène, surtout en ce qui concerne les indications données au chœur quand il n'est pas placé de face. Les solistes du Concert d'Astrée suppléent largement à ces risques, élevant la soirée vers les plus hauts sommets. La ductilité et le sens des couleurs tranchent avec la rectitude uniforme qu'imposait Hervé Niquet il y a une semaine à Paris.
Le plateau connaît des bonheurs inégaux mais au premier rang desquels il convient de placer la Phébé inoubliable de Gaëlle Arquez. Éclipsant toute concurrence dès son entrée en scène, la jeune mezzo délivre une émotion à flux continu, doublée d'un talent d'actrice hors norme. Emmanuelle de Negri, quant à elle, campe une Télaïre de chair et de sang, très loin des émolliences adolescentes et éplorées.
On aurait aimé chez les rôles masculins des qualités identiques mais, à l'exception de la belle autorité de Henk Neven (Pollux) et Frédéric Caton (Jupiter), il faut se contenter d'un Castor (Pascal Charbonneau) qui dévisse dans les aigus et d'un Mercure (Erwin Aros) vocalement inexistant mais très efficace dans le jeu d'acteur. Quelques réserves donc, mais qui ne suffisent pas à ternir notre plaisir.
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