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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Schwanengesang D744 de Romeo Castellucci au Théâtre des Bouffes du Nord, Paris.
Théâtre de la douleur
Deuxième spectacle de la rétrospective que consacre cette année le Festival d'Automne à Romeo Castellucci, ce Schwanengesang est une reprise du festival d'Avignon 2013. On abandonne ici la grandiloquence et le fracas de Go down Moses pour un cadre intimiste, mais toujours sous la férule du théâtre de la cruauté.
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Schwanengesang est construit en trompe-l'œil sur un modèle de récital de Lieder qui évolue en se délitant vers un hors champ théâtral. Le titre tout d'abord, ce D 744 qui signale la présence du lied éponyme dans la série des dix mélodies sélectionnées par Castellucci. Il ne s'agit donc pas comme on pourrait le croire du cycle intégral, publié après la mort de Schubert. Seul Ständchen appartient à ce recueil disparate que les éditeurs ont cru bon de publier sous ce titre de Chant du cygne.
La mise en scène ensuite : un piano (Alain Franco), une soprano en tailleur strict (Kerstin Avemo), on ne nous épargne aucun des clichés propres à installer une atmosphère que l'on croit pouvoir appréhender avec confiance. Pourtant, quelque chose sonne faux dans ce maintien convenu, cette rigidité souriante et les applaudissements d'une partie du public à la fin des premiers Lieder. La clé est à rechercher dans le choix des mélodies et l'attention portée au fil narratif qui se dessine imperceptiblement de l'une à l'autre.
À l'univers insouciant d'Auf dem Wasser zu singen, les chastes amours de Die Mainacht et Ständchen succède la fêlure abrupte de Klage qui produit sur la soprano un effet dramatique immédiat. Le piano aérien s'assombrit, le corps de la voix se fissure, les silences s'éternisent… suscitant une angoisse envahissante, comme si une chape de plomb venait peser sur la scène.
Après Schwanengesang, elle tourne le dos au public et marche en titubant fond de la scène. Avançant jusqu'à poser ses mains et ses lèvres contre le mur ocre, la voix se noie progressivement dans une résonance fantomatique, que souligne l'écho répété de l'Adieu (Abschied D 475, à ne pas confondre avec le pimpant Abschied D 957). Joignant le geste à la parole, elle quitte la scène dans la pénombre ; le piano se referme et une actrice (Valérie Dréville) sort de la coulisse pour prendre sa place sur scène.
Dans un silence feutré, elle répète en chuchotant les mots de cet Adieu. Aux poses extatiques succède une tension entre scène et salle – tension qui se mue en insultes et hurlements tandis qu'éclate un orage de sons fracassants, signé Scott Gibbons. Entre les éclairs aveuglants, la vision d'un masque de démon imprime durablement la mémoire rétinienne.
Cet accès de violence met à nu ce qui, par prélèvements successifs, dormait sous la cendre. La crise disparaît aussi vite qu'elle était venue, l'actrice redevient la femme qui chuchote « Adieu ! résonne plaintivement – Ah, comme ce sœur est affligé – De quitter, d'éviter ce que l'on aime – Adieu ! résonne plaintivement… ». Inoubliable.
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Théâtre des Bouffes du Nord, Paris Le 29/11/2014 David VERDIER |
| Schwanengesang D744 de Romeo Castellucci au Théâtre des Bouffes du Nord, Paris. | Schwanengesang D744
conception et mise en scène : Romeo Castellucci
musique : Franz Schubert
interférences : Scott Gibbons
dramaturgie : Christian Longchamp
Avec Valérie Dréville, Kerstin Avemo (soprano) et Alain Franco (piano) | |
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