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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise de Tristan et Isolde de Wagner dans la mise en scène de Claus Guth, sous la direction de John Fiore à l’Opéra de Zurich.
Renversant sinon historique
Nous n’avons pas été loin d’une soirée historique pour cette reprise du Tristan et Isolde de Claus Guth rassemblant une superbe distribution qui atteint la perfection absolue avec Nina Stemme et Matti Salminen, et ce dans une mise en scène de aussi stimulante intellectuellement que renversante. Un Tristan dont on ne sort pas indemne.
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Autant le dire d’emblée : Claus Guth est sans doute l’un des metteurs en scène les plus passionnants du moment et son Tristan l’une de ses productions les plus abouties. Transposant l’action à l’époque de la création dans le huis clos étouffant de grandes demeures bourgeoises et jouant sur la gémellité d’Isolde et Brangäne (habillées de la même manière, faisant les mêmes gestes comme si l’une, Brangäne, était la conscience et la raison de l’autre, davantage guidée par ses sentiments, sa passion voire sa folie), il concourt à placer le spectateur dans un état presque vertigineux du fait de la beauté des images, leur nombre (grâce à un plateau tournant) et surtout leur sens.
Car ce dispositif scénique extrêmement impressionnant ne serait qu’anecdotique s’il n’était au service du drame et de l’émotion. Ainsi, outre la saisissante vision des chambres complètement symétriques d’Isolde et Brangäne au I, nous ne sommes toujours pas remis du monologue du Roi Marke transformé en véritable conseil de famille dont les membres sont assis, tétanisés, autour d’une immense table à laquelle Isolde est tenue de s’asseoir à son tour, à droite de son mari, tandis que Tristan se retrouve face à Melot.
Même intensité au III lorsque Tristan, devant son palais délabré, se met soudainement à errer dans les lieux qui ont marqué son amour avec Isolde : la grande salle avec la longue table précitée puis la chambre d’Isolde du I. On est alors étreint et saisi de vertige devant l’intelligence et la construction dramatique de cette mise en scène qui hante la mémoire longtemps après la représentation.
Au prodige scénique répond souvent un prodige musical, tout d’abord par la présence d’une chanteuse au sommet de ses moyens : Nina Stemme. Voix de bronze, port altier, poids tragique exceptionnel dès la première note, véritable torche vive durant tout le I (avec des imprécations aussi effrayantes que spectaculaires) au point qu’on se demande comment elle tiendra jusqu’au bout.
Et pourtant, après avoir traversé le II sans encombre, elle chante une sublime Mort d’Isolde, comme si elle n’avait pas encore ouvert la bouche de la soirée. Alors certes, on pourrait souhaiter davantage de féminité, mais depuis quand une telle voix wagnérienne a offert un chant aussi subtil, nuancé, coloré, endurant et puissant, le tout dans une prestation scénique d’un engagement total. En un mot, depuis quand a-t-on vu une Isolde aussi sidérante ?
De toutes les qualités de son Isolde, le Tristan de Stephen Gould en a adopté seulement deux : l’endurance et la puissance. Pour le reste, on est un peu frustré, car s’il est appréciable de disposer d’un Tristan qui ne s’écroule pas au III, ce chant racé en devient presque monotone, en tout cas pas aussi transcendant que celui de sa partenaire (d’autant que l’allemand du ténor ne vaut pas celui de la soprano) avec qui il forme un couple dont l’amour est plus torrentiel qu’émouvant.
Le Kurwenal de John Lundgren, survitaminé, est sur la même pente : davantage à la recherche de décibels que de finesse. Michelle Breedt en Brangäne est à l’inverse d’une grande finesse musicale. Malgré un matériau relativement modeste, elle fait aisément face à Nina Stemme et réussit de superbes appels au II. Surtout, elle se montre particulièrement touchante scéniquement, et ce jusqu’aux dernières images de la représentation.
Inoubliable est enfin Matti Salminen dans le plus beau Roi Marke du monde. La beauté du timbre (à peine élimé aux extrêmes du registre), la prononciation impeccable mais également l’intelligence de la phrase, la subtilité de l’incarnation de cet homme brisé mettent la salle à ses pieds, jusqu’à obtenir un accueil aussi tonitruant que Nina Stemme aux saluts.
Le chef américain John Fiore offre pour sa part une remarquable direction du chef-d’œuvre wagnérien, tout en douceur et retenue, ne lâchant la bride qu’à de rares climax. Adoptant des tempi lents (mais ne respectant pas pour autant les longs silences du Prélude du I), il réussit fort bien à habiter les plages orchestrales ou à camper des atmosphères contrastées.
Le Philharmonia Zürich n’est certes pas la plus belle phalange qui soit, et un manque d’homogénéité dans les cordes ou de petites scories viennent de temps en temps briser la magie de la soirée, mais la formation compte de superbes solistes, notamment le premier hautbois (indispensable pour un bon Tristan) ou le magnifique cor anglais de Clément Noël.
Il ne reste plus qu’à Jonas Kaufmann de mettre enfin Tristan à son répertoire et de venir le chanter aux côtés de Nina Stemme et Matti Salminen dans cette production, car assurément, nous aurions un Tristan historique.
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Opernhaus, ZĂĽrich Le 29/01/2015 Pierre-Emmanuel LEPHAY |
| Reprise de Tristan et Isolde de Wagner dans la mise en scène de Claus Guth, sous la direction de John Fiore à l’Opéra de Zurich. | Richard Wagner (1813-1883)
Tristan und Isolde, action musicale en trois actes (1865)
Livret du compositeur
Chœurs de l’Opéra de Zurich
Philharmonia Zurich
direction : John Fiore
mise en scène : Claus Guth
décors et costumes : Christian Schmidt
Ă©clairages : JĂĽrgen Hoffmann
préparation des chœurs : Ernst Raffelsberger
Avec :
Nina Stemme (Isolde), Michelle Breedt (Brangäne), Stephen Gould (Tristan), Matti Salminen (König Marke), John Lundgren (Kurwenal), Cheyne Davidson (Melot), Spencer Lang (Un pâtre), Ivan Thirion (Un pilote), Mauro Peter (Un jeune marin). | |
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