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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 décembre 2024 |
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Récital de Nikolaï Lugansky dans le cadre de Piano aux Champs-Élysées au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Images du romantisme
Dans ce programme parisien, Nikolaï Lugansky avait rassemblé trois aspects du piano romantique. Schubert incarnait l’Allemagne, Franck la musique française et Tchaïkovski la Russie. Le grand pianiste russe s’est montré au meilleur de lui-même surtout avec les deux derniers et avec un étonnant bis de Liszt. Mais l’âme de Schubert sembla lui échapper quelque peu.
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L’idée de rapprocher des pages somme toute plus légères de Schubert comme les deux Scherzi D.593 de l’impressionnante Sonate en ut mineur était intéressante. Quand on parle de légèreté chez Schubert, c’est une notion relative. Il y a toujours chez lui un fond de mal-être, d’inquiétude, une sorte d’incapacité à se réjouir vraiment sans arrière-pensée, sauf peut-être dans certains Lieder comme Seligkeit, que la grande cantatrice Maria Freund ne voulait d’ailleurs pas croire qu’il fut de lui.
Les deux Scherzi joués par Lugansky, en sib majeur et en réb majeur, n’appartiennent certes pas au Schubert le plus sombre et sont plutôt d’humeur enjouée. Avouons que le pianiste n’a guère su leur communiquer une vie autre que superficielle, sans tenter de trouver quelques couleurs ou quelques accents qui leur confèrent un relief plus marquant.
De même, si sa technique lui permet de rendre justice à toutes les finesses d’écriture de la Sonate D.958, il ne parvient guère à aller au cœur de cette musique toute en contrastes, en humeurs opposées. Il ne trouve pas non plus le vrai climat de l’ultime mouvement, vraie course à l’abîme aussi trépidante et inquiétant que le Roi des Aulnes. Un Schubert dans l’ensemble trop purement pianistique, même si c’est du très beau piano.
En revanche, avec la transcription par Harold Bauer de Prélude, Fugue et Variation en si mineur op. 18 de César Franck écrit à l’origine pour l’orgue, le pianiste déploie tout de suite une richesse sonore, une liberté de phrasé mis au service d’une intériorité non dénuée de sensualité. Romantisme plus tardif que celui de Schubert, mais correspondant sans doute mieux au tempérament du pianiste.
La magnifique interprétation que Lugansky donne ensuite de la Grande sonate n° 2 en sol majeur op. 37 de Tchaïkovski permet enfin de retrouver le grand interprète capable de s’extérioriser sans contrainte, de trouver des sons riches, des contrastes de dynamique, des couleurs changeantes, avec une manière de tout rendre parlant, chargé d’émotion et de signification. L’écriture généreuse, ample, souvent chatoyante de cette œuvre relativement méconnue convient visiblement à la perfection au pianiste, chez lui ici comme il l’est chez tant d’autres compositeurs comme Chopin, Rachmaninov ou Liszt.
Parmi les quatre bis dont il gratifia un public très enthousiaste, on retiendra notamment une Campanella absolument ahurissante de virtuosité. Cette page n’est pas la chef-d’œuvre absolu du compositeur mais Lugansky en a fait une démonstration pianistique époustouflante, dépassant ce que l’on n’a jamais entendu encore en la matière, avec des sonorités incroyables dans le suraigu, des déferlements perlés aussi fluides que du violon et où pourtant chaque note était détachée, une manière toujours renouvelée de réintroduire ce thème qui peut devenir assez lancinant mais qui semblait ici toujours autre et dont on attendait au contraire toujours le retour.
Phénoménal, même en ces temps où chacun y va de démonstrations techniques de plus en plus souvent dignes d’extra-terrestres !
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 06/02/2015 Gérard MANNONI |
| Récital de Nikolaï Lugansky dans le cadre de Piano aux Champs-Élysées au Théâtre des Champs-Élysées, Paris. | Franz Schubert (1797-1828)
Deux Scherzos D.593
Sonate pour piano en ut mineur D.958
CĂ©sar Franck (1822-1887)
Prélude, Fugue et Variation en si mineur op. 18
Transcription d’Harold Bauer
Piotr Ilitch TchaĂŻkovski (1840-1893)
Grande sonate pour piano n° 2 en sol majeur op. 37
NikolaĂŻ Lugansky, piano | |
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