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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de la Clémence de Titus dans une mise en scène de Katharina Thoma et sous la direction d’Andreas Spering à l’Opéra national du Rhin, Strasbourg.
Tout est pardonné ?
Cette Clémence de Titus strasbourgeoise expose avec brio la palette sémantique qui relie chez Mozart, le pouvoir tyrannique à la démocratie. La raison d'Etat triomphe difficilement des aspirations du peuple à vouloir se venger des criminels. Un opera seria de la politique, une injonction à la tolérance et au respect signée Katharina Thoma.
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L'idée d'un décor tournant n'est pas une nouveauté en soi, et répond généralement à l'impératif de représenter plusieurs espaces en un seul. Katharina Thoma l'utilise dans le but de montrer la proximité et la mobilité psychologiques ainsi que les réseaux relationnels entre les personnages. Cette Clémence de Titus s'ouvre sur cette vertigineuse rotation d'images et de lieux. On passe librement d'un espace à un autre en poussant une porte ou en pénétrant entre deux cloisons. Le regard intrusif du spectateur circule dans l'intimité des situations à la manière du système de surveillance des prisons-panoptiques décrit par Michel Foucault.
Cette manière de combiner décors et personnages ouvre des perspectives intéressantes à une scénographie par ailleurs basée sur la violence des caractères et les enjeux politiques de cette soi-disant clémence. Trois situations combinent le personnage à son rôle dans l'action : Titus en son palais de marbre, Vitellia dans le bureau-antichambre et Annius et Servilia dans un jardin isolé propice aux rencontres.
La question du pouvoir et de ses limites plane sur des personnages placés à la limite d'un tournage de Pasolini ou de Fassbinder. C'est également la problématique de l'autorité et du peuple qui s'installe progressivement à travers des allusions à l'actualité souvent explicites : « tout est pardonné » écrira Titus en guise de réponse à ceux qui viennent réclamer vengeance. L'action semble tourner autour de Servilia, son autre point de rotation.
Posé sur l'étagère où trône l'imposante collection de bustes des prédécesseurs de Titus, le miroir dans lequel elle se regarde en dit long sur ses intentions. Elle ne donne pas excessivement dans la castration et la domination pour imposer son statut d'amoureuse ivre de pouvoir. Le désarroi de Sesto apparaît naturellement par la crédibilité du jeu et des situations, le résultat est très fin et très convaincant. Interrompant le happy end consensuel, Sesto s'empare d'un fusil et file se suicider en coulisse – geste fort en réponse à une clémence qui a tout du geste politique face à la colère du peuple.
Jacquelyn Wagner est une Vitellia parfaitement en phase avec les intentions de la mise en scène de Katharina Thoma. La voix déliée et enjôleuse se mêle à la plastique d'une vamp hitchockienne. Un registre grave un peu retrait ne suffit pas à gâcher notre plaisir, surtout dans les agilités (Deh se piacer) et le legato furibond (Non piú di fiori).
Le Sextus de Stéphanie d'Oustrac se hisse sans difficulté parmi les plus belles satisfactions de cette soirée. Déployant une énergie féline et un timbre très dense, la mezzo séduit jusque dans cette infime fêlure dans l'aigu (Parto). Des lauriers également pour le Titus de Benjamin Bruns, ténor anti-héroïque qui porte sur ses épaules tout le poids des trahisons et des destins. Négociant au mieux son redoutable Se all'impero, il s'inscrit durablement dans la lignée des interprètes qui ne sacrifient pas la précision virtuose aux effets faciles. David Bizic (Publius) et Chiara Skerath (Servilia) s'illustrent avec les honneurs, tandis qu'Anna Radziejewska campe un Annius de toute beauté.
En fosse, la direction d'Andreas Spering imprime aux instrumentistes de l'Orchestre symphonique de Mulhouse des tempi très vifs. Un peu trop sur les pointes dans les ensembles et les parties chorales, mais il en faudrait davantage pour risquer de compromettre la ligne générale. Une admirable soirée.
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