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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Création mondiale de Solaris de Dai Fujikura et Saburo Teshigawara au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Promenade de santé
Très attendue, cette création de Solaris, d’après le roman éponyme de Stanislas Lem, déçoit. Malgré une superbe partition orchestrale, de bons chanteurs, de très bons danseurs, l’osmose ne se fait guère, au Théâtre des Champs-Élysées, entre tous les éléments requis, dont un texte indigent et une scénographie finalement assez plate.
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Sans doute les moyens de l’opéra ne sont-ils pas adaptés à ce genre de propos, ou alors à une tout autre échelle. Ce dont traite Solaris est très complexe. Science-fiction, certes, avec cette station spatiale, cet océan intelligent mais tout à fait comme nous, plus perturbant que confortant, ces savants, ces créatures qui n’en sont pas tout en en étant quand même. Bref, un univers pas facile à mettre en scène, ni en musique.
En fait, l’intérêt de Solaris est dans les thématiques de cette histoire à la fois très simple et très compliquée. Il y est question de notre capacité à nous connaître nous-mêmes pour espérer connaître les autres, des abysses que représentent notre subconscient, de la difficulté de comprendre les conséquences de nos propres actes et ainsi de suite. Une sorte d’accumulation de préoccupations relevant de la psychologie, voire de la psychiatrie, incarnées par quelques personnages dans un non-lieu déroutant, et issues d’une imagination assez délirante, celle de l’auteur du roman.
A priori, on avait fait les bons choix pour que cet ensemble de créateurs parvienne à réaliser une synthèse théâtrale et musicale, et même chorégraphique constituant un opéra. Les moyens de l’Ensemble Intercontemporain et de l’IRCAM, un excellent chef en la personne d’Erik Nielsen, le très avant-gardiste Saburo Teshigawara pour la chorégraphie, le livret, la mise en scène et tout ce qui relevait du spectacle, décors, costumes, lumières, d’excellents danseurs dont Nicolas Le Riche, Teshigawara lui-même, Václav Kuneš et Rihoko Sato, de bons chanteurs, car chaque rôle est chanté à l’avant-scène et dansé au centre du plateau, Sarah Tynan, excellente Hari en premier, belle voix et expressivité irréprochable.
Alors, pourquoi tout cela ne parvient-il pas à fonctionner comme il le faudrait ? La faute pourrait bien en revenir d’abord au livret, signé par Teshigawara, et dont le texte est plat, sans une once de poésie ou de valeur littéraire quelconque. Impossible de s’intéresser une seconde à ces personnages dédoublés qui tiennent des propos d’une banalité simplement descriptive de l’action. Aucune dimension intérieure, aucune extrapolation, des phrases neutres bien difficiles à mettre en musique, certaines sans cesse répétées, d’où une écriture vocale conventionnelle et totalement inexpressive.
L’absence d’action dramatique confiée aux chanteurs qui, dans des costumes de bande dessinée, restent figés de chaque côté de l’avant-scène, fait que tout le propos reste finalement confié aux danseurs et à l’orchestre. La partition orchestrale est superbe, un peu répétitive mais très colorée, riche, intéressante. Tout comme ce qui est interprété par les danseurs. Danse et musique suffisaient largement à traduire le contenu intellectuel de l’œuvre, comme c’est le cas pour tant de ballets.
Mais il faut reconnaître aussi que le spectacle qui devait être d’une modernité jamais vue tourne court. Tout commence par de très longues minutes où il faut contempler avec des lunettes 3D le plasma de l’océan. Mais rien de ne se passe. La 3D est inexistante et le public s’ennuie ferme, en toussant et en éternuant à qui mieux mieux. Ensuite, si les éclairages sont assez sophistiqués, le reste n’étonne ni ne surprend jamais, froid et assez simpliste.
Où est passé le Teshigawara capable de danser en brisant du verre avec ses pieds ou d’inventer d’incroyables chorégraphies pour les danseurs de l’Opéra ou ceux de sa compagnie ? Il est vrai que la danse proposée ici est originale, bien diversifiée et que Nicolas Le Riche se tire avec habileté et talent d’une gestuelle très particulière. Mais les images scénographiques n’apportent rien.
Alors cette heure et demie se passe un peu dans la confusion, dans l’attente de quelque chose d’important qui ne vient jamais vraiment. Il y a des satisfactions, c’est incontestable, mais l’œuvre passe à côté de cette unité entre spectacle, voix et orchestre, et souvent danse, qui fait les vrais opéras, quels que soient leur époque ou leur langage musical, des balbutiements de la Renaissance italienne à Nono, Berio, Zimmermann, Glass ou Adams.
On sort de là frustré, avec le sentiment de s’être embarqué dans un voyage interstellaire alléchant qui a manqué sa cible et n’était qu’une promenade de santé.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 05/03/2015 Gérard MANNONI |
| Création mondiale de Solaris de Dai Fujikura et Saburo Teshigawara au Théâtre des Champs-Élysées, Paris. | Dai Fujikura (*1977)
Solaris, opéra en quatre actes (2015)
Livret de Saburo Teshigawara, d’après le roman éponyme de Stanislas Lem
Matériel extrait du film Solaris d'Andreï Tarkovski avec l'aimable autorisation de Mosfilm
Création mondiale
Ensemble intercontemporain
direction : Erik Nielsen
mise en scène, chorégraphie, décors, costumes & éclairages : Saburo Teshigawara
images, collaboration à la conception lumières : Ulf Langheinrich
Ircam réalisation informatique musicale : Gilbert Nouno
Avec :
Sarah Tynan (Hari), Leigh Melrose (Kris Kelvin), Tom Randle (Snaut), Callum Thorpe (Gibarian), Marcus Farnsworth (Ktis Kelvin en coulisses), Riohoko Sato (danseuse Hari), Válcav Kuneš (Danseur Kelvin), Nicolas Le Riche (danseur Snaut), Saburo Teshigawara (danseur Gibarian) | |
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