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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Médée de Cherubini dans une mise en scène de Christof Loy et sous la direction de Marko Letonja au Grand Théâtre de Genève.
Une tragédienne est née
Dans cette nouvelle production du Grand Théâtre de Genève de Medea de Luigi Cherubini, le remplacement à la dernière minute de Jennifer Larmore par la soprano Alexandra Deshorties est l'occasion d'assister à la naissance d'une tragédienne. Bouleversante et dérangeante, sa performance bouscule les codes et rejoint les plus grandes incarnations de l'héroïne mythologique.
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C'est en assurant le remplacement de Jenifer Larmore, dix jours seulement avant la première, qu'Alexandra Deshorties a sublimé le Grand Théâtre de Genève. On attendait du théâtre lyrique, on aura assisté à la naissance d'une tragédienne. Repérée dans ce rôle en 2012 au festival de Glimmerglass, la soprano canadienne avait déjà démontré ses talents dans un rôle traditionnellement dévolu aux mezzos. On avait eu depuis l'occasion de l'entendre à Aix-en-Provence en Fiordiligi et en Donna Anna, sans vraiment prendre la mesure de son potentiel à interpréter brillamment un rôle-titre.
C'est désormais chose faite, adoubée tous les soirs de cette Medea par une salle applaudissant debout la performance. Pour une raison à certains aspects contestable – en témoigne le succès de la production Rousset-Warlikowski à la Monnaie et au TCE – c'est la version italienne de Carlo Zangarini qui a été préférée. Non pas que le livret originel de François-Benoît Hoffmann ne rivalise d'intérêt avec Corneille ou Euripide, mais la naïveté incisive de cette langue préromantique l'emporte nettement sur les contorsions d'une traduction italienne de 1909 qui contraint à chanter les dialogues parlés.
On se gardera bien de relier la langue de cette Medea avec le souvenir de Maria Callas, pourtant si présent dans la mémoire discographique de l’œuvre. Il faut pourtant reconnaître à Alexandra Deshorties une facilité étonnante à se fondre dans son personnage pour en exprimer toutes les facettes. Ce monstre au confluent de l'hystérique et de l'amour maternel contient en germe la Salomé ou l'Elektra de Strauss, sans même parler des héroïnes wagnériennes (la scène finale de l'embrasement du palais a tout du Crépuscule des dieux).
Christof Loy ne cherche pas à renvoyer à une vision mythologique, préférant tracer à grands traits le portrait d'une femme contemporaine, confrontée à la trahison de son mari. Sans doute n'était-il pas nécessaire pour comprendre le point de vue de la mise en scène de présenter les futures victimes en adolescents avec skateboard et casquette. L'impressionnant décor d’Herbert Murauer fait de panneaux de boiserie coulissant latéralement suffit à imposer au drame son atmosphère et sa pesanteur.
L'escalier plonge jusque dans la fosse, elle-même entourée par un proscénium permettant de circuler derrière le chef, en proximité immédiate du public. Le déplacement des acteurs reste en deçà des capacités offertes par un tel espace. La scénographie joue la carte d'une relative neutralité et c'est sur cette toile de fond que contrastent le jeu des regards et les soubresauts qui agitent les corps tourmentés.
Un immense panorama montrant la campagne et le ciel de Corinthe sert d'illustration à la progression du drame, de l'éclatant soleil au rougeoiement du crépuscule. La scène finale est une parfaite réussite, rare moment où les effets scéniques rejoignent l'emballement narratif. Cette image de foule paniquée tentant d'échapper aux flammes rappelle furieusement l'immolation de Brünnhilde imaginée par Patrice Chéreau pour le centenaire du Ring.
On doit à une certaine atonie de l'orchestre le fait que l'attention se concentre en grande partie sur le plateau vocal. La direction de Marko Letonja émousse les reliefs de l'ouverture et tend à un son rond et sans épaisseur. Il faut attendre le II pour que l'orchestre se hisse au rang de protagoniste et gagne en tension pour porter au plus haut l'incendie final. Jouant en formation réduite, l'Orchestre de la Suisse romande pâtit d'une fosse étroite et d'une disposition latéralement très étirée.
Vocalement, le Creonte de Daniel Okulitch n'a pas l'impact et l'épaisseur qui permettraient à sa projection se rivaliser avec les protagonistes féminines. La voix d'Andrea Carè (Giasone) a plus de caractère mais la dimension du rôle ne lui permet pas vraiment de jouer les premiers plans dans des airs véritablement virtuoses. Grazia Doronzio incarne avec subtilité et brillance le personnage de Glauce, libérant un registre aigu à la fois net et limpide dans ses premières interventions.
La Neris de Sara Mingardo est profondément touchante dans son Medea ! O Medea !…Solo un pianto. Elle est la seule à pouvoir rivaliser avec la performance hors-cadre d'Alexandra Deshorties. On en vient à négliger une relative dureté dans les changements de registres de Dei tue figli la madre. L'intelligence de cette voix vient de sa capacité à négocier les obstacles par un jeu d'actrice irréprochable qui marie le chant avec la déclamation et bouleverse de bout en bout.
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Grand Théâtre, Genève Le 15/04/2015 David VERDIER |
| Nouvelle production de Médée de Cherubini dans une mise en scène de Christof Loy et sous la direction de Marko Letonja au Grand Théâtre de Genève. | Luigi Cherubini (1760-1842)
Medea, opéra en trois actes
Livret de François Benoît Hoffmann d’après Euripide, Sénèque et Pierre Corneille
Version italienne de Carlo Zangarini
Chœur du Grand Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse romande
direction : Marko Letonja
mise en scène : Christof Loy
décors & costumes : Herbert Murauer
Ă©clairages : Reinhard Traub
préparation des chœurs : Alan Woodbridge
Avec :
Alexandra Deshorties (Medea), Andrea Carè (Giasone), Daniel Okulitch (Creonte), Grazia Doronzio (Glauce), Sara Mingardo (Neris), Johanna Rudström (Première Servante), Magdalena Risberg (Deuxième Servante), Alexander Milev (un Capitaine de la garde). | |
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