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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Pelléas et Mélisande de Debussy dans une mise en scène de Daniele Abbado et sous la direction de Daniele Gatti au Mai musical florentin 2015.
Debussy chez Wagner
Après Dresde en janvier et Lyon en juin, c’est au tour du festival du Mai musical florentin de créer une nouvelle production du chef-d’œuvre lyrique de Claude Debussy. Si la mise en scène symboliste mais pétrie de wagnérisme de Daniele Abbado ne dérange ni ne passionne, c’est surtout pour la direction de Daniele Gatti que la soirée intéresse.
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Très marqué par Wagner, la génération de compositeurs français de la fin du XIXe se perdit parfois à rechercher un style personnel, comme on vient de l’entendre à Paris avec le Roi Arthus d’Ernest Chausson, créé en 1903. Pourtant, Claude Debussy réalisa dès 1902 sur un texte de Maurice Maeterlinck l’une des plus belles mises en abyme jamais composées, en s’attaquant frontalement au maître de Bayreuth avec une transposition de Tristan et Yseult : Pelléas et Mélisande.
Pour le festival du Mai florentin, Daniele Gatti emmène l’ouvrage encore plus loin en rapprochant au même degré du mythe initiatique le texte et la partition orchestrale, à tel point qu’en plus d’y entendre idéalement les chromatismes de Parsifal dès la première transition symphonique, on se rapproche à de nombreux moments des rêveries tristaniennes.
Loin de laisser paraître pour autant une approche teutonne ou massive, ces sonorités aux symbolismes musicaux omniprésents font également ressortir dans une approche novatrice mais totalement évidente la musique de Debussy, pour lesquelles les sonorités des Nocturnes et plus encore de la Mer n’ont jamais été aussi claires, notamment dans la scène entre Golaud et Yniold.
L’Orchestra del Maggio Musicale Fiorentino, sauvé de justesse il y a deux ans, donne des couleurs d’une transparence et d’une clarté impressionnantes, sans rechercher particulièrement la cristallinité du matériau sonore. Les pupitres impeccables impressionnent dans les cuivres et deviennent saisissant lors du souffle lyrique dégagé par les cordes, desquelles ressortent les vibrants soli du premier violon. À cela s’ajoutent des équilibres inédits dans la mise en valeur des bois, comme l’importance du basson dans le premier duo entre Pelléas et Golaud ou celui de la flûte au final du II.
Face à tant de magie en fosse, le reste du spectacle laisse plus circonspect, sans jamais démériter. La mise en scène rappelle aussi Wagner, tout en gardant les symbolismes principaux du théâtre de Maeterlinck, à commencer par celui de l’anneau, presque unique décor du plateau. Deux anneaux à l’intérieur métallique de coques de sous-marins inversés, faisant penser au Vaisseau fantôme de Londres cette saison ou aux arches du Ring de Götz Friedrich de Berlin ; le tout appuyés par les couleurs tantôt bleutées ou crépusculaires des toiles de style colorfield painting à l’arrière-scène.
La première image d’un Golaud en Wotan propose également des réminiscences d’images du Ring, tandis que les costumes de Francesca Livia Sartori convoquent le mysticisme de Parsifal – l’habit de moine porté par Arkel –, ou les répliques de bustes de marbre italiens voilés pour le chœur de femmes à la mort de Mélisande. Une direction d’acteurs trop classique et un traitement métaphorique trop distant, malgré un beau travail de lumière (Giovanni Carluccio), ne permettent malheureusement pas de s’enfoncer pleinement dans la symbolique du rêve, comme l’a réussi dernièrement Alex Olé.
Tous Italiens, les chanteurs s’appliquent à chanter un français presque toujours compréhensible, au risque de passer à côté du caractère évanescent de leur portée. La Mélisande de Monica Bacelli manque de lumière et ne parvient pas exalter le texte, comme ses « je ne suis pas heureuse » peu touchants. Paolo Fanale tient un Pelléas ténor avec dynamisme et engagement mais n’a pas assez de clarté dans la prononciation.
Roberto Frontali (Golaud), Macbeth il y a peu au TCE, convainc plus et donne par le timbre une véritable noirceur au personnage, là où Roberto Scandiuzzi propose plus de chaleur en Arkel. Sonia Ganassi campe une Geneviève de belle stature, très audible à la lecture de la lettre de Golaud. Les petits rôles, parfaitement tenus, permettent d’entendre le superbe Yniold à la voix d’enfant de Silvia Frigato, et un Andrea Mastroni plus à l’aise en Médecin au final qu’en Berger un acte plus tôt.
Passionnant pour la direction d’un chef qui avait déjà marqué les esprits avec Parsifal à Bayreuth et New-York, Pelléas prend dans la magnifique ville de Florence une ampleur rare à l’orchestre, à laquelle ni la mise en scène ni les chanteurs n’ont réussi à se hisser. Il ne reste plus qu’à attendre le Tristan de Daniele Gatti l’an prochain à Paris pour achever le parcours.
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