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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de l'Enlèvement au sérail de Mozart dans une mise en scène de Martin Kušej et sous la direction de Jérémie Rhorer au festival d’Aix-en-Provence 2015.
Aix 2015 (2) :
L'enlisement au sérail
Vrai faux scandale annoncé, les modifications apportées à la mise en scène de Martin Kušej ne parviennent pas à sauver cet Enlèvement au sérail de l'ennui généralisé. Victime d'un plateau inégal et d'une direction d'orchestre hors de propos, cette production peine à trouver ses marques dans le vaste désert de gestes et d'intentions.
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Théâtre de l’Archevêché, Aix-en-Provence
Le 11/07/2015
David VERDIER
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Bons baisers d’Eltsine
RĂ©gal ramiste
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Lors de la conférence de presse qui précédait la représentation de cet Enlèvement aixois, Bernard Foccroulle annonçait ce qui ressemblait à des modifications en vue d'éviter un scandale prévisible. L'objet du délit : le metteur en scène Martin Kušej et son dramaturge Albert Ostermaier avaient prévu de détourner l'opéra de son orientalisme de bazar pour y intégrer des allusions à une actualité géopolitique désormais tabou et politiquement incorrecte.
Ainsi aura-t-on jugé que le moment n'était pas opportun pour montrer un drapeau de l'État islamique et quatre têtes décapitées roulant dans le sable. Infini débat du convenable et du condamnable dont l'enjeu dépasse désormais Mozart et le théâtre musical. « Ce n’est pas une censure, c’est de la maturité » nous dit-on… Position d'autant plus ambiguë qu'il s'agit dans le même temps de justifier l'urgence et la nécessité de faire de l'opéra un acte à part entière de notre contemporanéité, sous peine de le voir se muséifier et disparaître.
Au-delà du mortifère et illusoire respect du texte, la mise en scène n'a d'autre intérêt que de vivifier et nourrir le lien qui nous rattache aux œuvres du répertoire – en quelque sorte valider ce lien de manière à ce que ces œuvres interrogent ou interagissent avec notre monde. Le livret de Gottlieb Stephanie regorge d'allusions explicites à des exactions et des massacres dont l'écho guerrier résonnait encore aux portes de Vienne quatre décennies à peine avant que Mozart n'écrive son opéra.
À l'aune de cette décision, on peut se demander désormais si l'on reverra un jour les mises en scènes de l'Enlèvement par Calixto Bieito à Berlin, Hans Neuenfels à Stuttgart ou Stefan Herheim à Salzbourg. Plutôt que de maquiller la proposition de Martin Kušej, mieux valait-il en apprécier le sens et l'intérêt dans l'économie générale de cette production. Sans doute y aurait-on pris la mesure d'un spectacle assez faible et ennuyeux, que ces allusions assez lourdes n'auraient de toute façon pas permis de sauver.
Ici verbeux et statique, le Singspiel pêche souvent par un manque d'imagination scénographique qui finit par plomber la soirée. Kušej et Ostermaier ont opté pour de nombreuses modifications du livret, introduisant une dimension souvent humoristique et décalée. Il faut en effet une sacrée dose d'humour anglais pour affronter cette étendue de poudre de liège figurant l'immensité du désert. Le pacha Selim a planté sa tente côté jardin, laissant à cour l'espace libre pour décliner les péripéties des quatre pieds-nickelés prisonniers des djihadistes.
Seuls les magnifiques éclairages de Reinhard Traub sur la voûte céleste trompent l'ennui pendant les longues trouées silencieuses. Selim peut réciter ses répliques, on l'écoute avec délice philosopher avec son physique de Lawrence d'Arabie un rien rêveur et perdu. L'idée est astucieuse et souligne l'opposition entre Osmin l'obtus djihadiste et Selim, magnanime héritier de l'Europe des Lumières. Le sabre du pacha tranchera quatre pastèques rafraîchissantes en signe de pardon, tandis que le gardien du sérail désobéira à ses ordres en optant pour la décapitation des otages. Dénouement tragique et glaçant qui conduit dans un cul-de-sac une dramaturgie qui somnolait mollement.
Déception dans la fosse, le Mozart de Jérémie Rhorer marche ce soir sur des pointes et contredit le vide scénique. Après une ouverture très carrée aux percussions clinquantes et inutiles écrasements de cymbales, c'est la petite harmonie du Freiburger Barockorchester qui couine ses répliques à des cordes approximatives. À trop vouloir alléger le propos, la battue précipite les fins de phrases, ce qui a le don de déstabiliser le plateau.
Peu importe pour Franz-Josef Selig, Osmin remarquable qui donne l'impression de n'avoir qu'à ouvrir la bouche pour s'imposer. La Konstanze de Jane Archibald est finalement très décevante et en deçà de ses récentes performances. Le même sort nous attend avec la Blonde anecdotique de Rachele Gilmore, incapable de soutenir une ligne de chant cohérente. Respectivement Belmonte et Pedrillo, Daniel Behle et David Portillo se tirent d'affaire par un engagement sincère et un chant très rigoureux. Les lauriers iront, sans ironie, à l'acteur autrichien Tobias Moretti, dont le Selim fait oublier qu'il s'agit d'un rôle parlé en attirant à lui tout l'intérêt de ce presque « Hörspiel ».
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