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CRITIQUES DE CONCERTS 21 décembre 2024

Reprise au festival d’été d’Iphigénie en Tauride de Gluck dans la mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser et sous la direction de Diego Fasolis, inaugurée au festival de Pentecôte de Salzbourg 2015.

Salzbourg 2015 (3) :
Souffler n’est pas déclamer

© Monika Rittershaus

Reprise décevante que cette Iphigénie en Tauride par une équipe qui a plus que fait ses preuves dans la récente Norma. Pavé de bonnes intentions laissant de côté les artifices au bénéfice du théâtre de la déclamation tragique, un français inintelligible tue dans l’œuf un projet interprétatif pourtant enthousiasmant. De l’art de mettre la charrue avant les bœufs.
 

Haus fĂĽr Mozart, Salzburg
Le 22/08/2015
Thomas COUBRONNE
 



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  • Certaines personnes ne doutent de rien. Et quand ces personnes brillantes passent Ă  un cheveu du chef-d’œuvre, la frustration est Ă  la mesure de la promesse. C’est ainsi qu’on lit en incipit d’un entretien dans le programme de salle de cette IphigĂ©nie en Tauride un extrait d’une lettre de Gluck dont se rĂ©clament Ă  l’envi metteurs en scène, chef et prima donna. Expression et dĂ©clamation furent, nous dit-on, les mots d’ordre de tout le travail de cette production. Pas (de feux) d’artifice vocal, pas d’effets théâtraux, pas de grandiloquence, seulement de la pure tragĂ©die.

    Et en effet, la scénographie ramassée de Christian Fenouillat, bunker disloqué par une troublante illusion d’optique, sorte de Guantanamo échoué sous les bombes, les éclairages sans concession de Christophe Forey, objectivité criarde des néons, les costumes crus d’Agostino Cavalca, jusqu’à la violente nudité totale d’Oreste sacrifié, renvoient bien à la densité de la tragédie, son unité, son universalité, et à la nature théâtrale de son action – le verbe.

    Les protagonistes déploient dans ce cadre un chant passionné, varié, ciselé, qui avec de saisissants pianos (Rejoins Iphigénie au malheureux Oreste de Cecilia Bartoli sur le fil du rasoir), une épaisseur de timbre caméléon (l’Oreste de Christopher Maltman, bouleversant d’engagement et de fêlure douce dans la matière vocale), des accents extravagants (l’émission larmoyante du Pylade de Rolando Villazón) ou un contrôle total du vibrato (les Prêtresses, glaçantes dans leur désespoir).

    Aussi souverains sous les bombes que dans les plaintes, I Barocchisti et Diego Fasolis campent un climat de rêve pour une tragédie particulièrement ramassée et dont l’argument bien mince laisse toute la place à la mécanique tragique. Écrasés par un destin plus grand et plus clairvoyant qu’eux, les personnages courent à leur perte sans même essayer d’infléchir le cours des événements, si ce n’est Iphigénie par le refus de tuer, qui équivaut à une autre forme d’anéantissement.

    Pas de choix cornélien pour ces êtres déjà ruinés et condamnés, tout au plus une petite latitude dans la préférence pour telle ou telle catastrophe, cela est fort peu dramatique et c’est certainement la raison pour laquelle la tragédie de Gluck a pu paraître académique : synthétisant les tendances française (le texte) et italienne (la musique), la réforme du compositeur n’est pas tant le retour à une tragédie telle qu’au théâtre, qu’une sorte de méditation dédramatisée où l’effusion provient en grande partie de la musique.

    Transposer l’action dans un contexte contemporain en faisant confiance à l’universalité des enjeux – faut-il tuer pour apaiser les dieux ? – est évidemment un pari intéressant, qui à notre sens trouve quelques limites dans deux détails de mise en scène : les Érinyes matérialisées par une scène cauchemardesque au fond assez convenue, lumières rouges et mains infernales d’une part, et le deus ex machina final d’autre part, où une Diane toute dorée, caricature de l’Olympe bling-bling, se dandine sur les accents joyeux de la fin. Si les dieux sont aussi immanents dans la vie des mortels, on ne voit pas très bien comment questionner la piété et la validité du meurtre en leur nom.

    Mais beaucoup plus problématique est la question de départ : la déclamation. Pas de chef de chant français sur la production – même si on sait le peu de résultats qu’ils obtiennent parfois avec des chanteurs rétifs, certainement pas le cas ici –, c’est l’assurance que la démarche consistant à tout baser sur la déclamation sera un échec. La déclamation n’est ni un vœu pieux, ni un état d’esprit, c’est avant tout un savoir-faire phonétique et technique. Si la langue n’est pas maîtrisée dans son articulation, dans son rythme, que servent ces consonnes démesurées ou ces effets sifflants ?

    Avouons donc que nous n’avons pas ne serait-ce qu’entraperçu le travail dĂ©clamatoire de cette Ă©quipe par ailleurs très engagĂ©e : Ă  notre grande dĂ©ception, l’édifice s’est effondrĂ© d’emblĂ©e, les forts beaux Ă©tages supĂ©rieurs ayant Ă©tĂ© bâtis sur des fondations inexistantes. Devoir lire le surtitrage allemand pour essayer de reconstituer le texte original quand on est français, ce n’est pas agrĂ©able. Ne pas entendre un vers avec un « e Â» muet correct de la soirĂ©e, ne pas reconnaĂ®tre un alexandrin, c’est la mort de la dĂ©clamation.




    Haus fĂĽr Mozart, Salzburg
    Le 22/08/2015
    Thomas COUBRONNE

    Reprise au festival d’été d’Iphigénie en Tauride de Gluck dans la mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser et sous la direction de Diego Fasolis, inaugurée au festival de Pentecôte de Salzbourg 2015.
    Christoph Willibald Gluck (1714-1787)
    Iphigénie en Tauride, tragédie en quatre actes (1779)
    Livret de Nicolas-François Guillard d’après la tragédie de Claude Guimond de la Touche.

    Coro della Radiotelevisione Svizzera
    I Barocchisti
    direction : Diego Fasolis
    mise en scène : Patrice Caurier & Moshe Leiser
    décors : Christian Fenouillat
    costumes : Agostino Cavalca
    Ă©clairages : Christophe Forey
    préparation des chœurs : Gianluca Capuano

    Avec :
    Cecilia Bartoli (Iphigénie), Christopher Maltman (Oreste), Rolando Villazón (Pylade), Michael Kraus (Thoas), Rebeca Olvera (Diane), Rosa Bove (une femme grecque), Marco Saccardin (un Scythe), Walter Testolin (le Ministre), Laura Antonaz, Elena Carzaniga, Mya Fracassini, Caroline Germond, Elisabeth Gillming, Marcelle Jauretche, Francesca Lanza, Silvia Piccollo, Nadia Ragni, Brigitte Ravenel (Prêtresses).

     


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