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CRITIQUES DE CONCERTS |
30 décembre 2024 |
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Concert de clôture du festival de Salzbourg 2015, avec l’Orchestre philharmonique de Berlin sous la direction de Sir Simon Rattle.
Salzbourg 2015 (8) :
L’obsession du gros plan
Après une matinée viennoise, c’est une soirée symphonique berlinoise qui fait office de clôture de l’édition 2015 du festival de Salzbourg, où Sir Simon Rattle, pour ce concert de rentrée des Berliner Philharmoniker, triomphe dans Britten mais peine à pleinement convaincre dans Chostakovitch, par un usage abusif du gros plan.
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On ne se refait pas. Après une première partie consacrée aux Variations sur un thème de Frank Bridge de Britten où le maestro britannique avait fait feu de tout bois dans une lecture expressionniste, presque hallucinée, à croire que l’approche du terme de son mandat berlinois commençait à le transcender, Rattle retombe dans son péché véniel du gros plan dans une Quatrième Symphonie de Chostakovitch ne manquant par ailleurs pas de qualités.
Dans cette œuvre écrite au milieu des années 1930, écho du climat de terreur régnant au plus fort des purges staliniennes, et qui devra attendre vingt-cinq ans sa création, le Philharmonique de Berlin, machine de guerre symphonique sans concurrence, opère des prodiges dès lors qu’il s’agit de jouer en bloc, pans de dissonances terribles assénées avec une puissance brute à nulle autre pareille, parfaite évocation d’un régime politique en machine à broyer de l’être humain.
L’entrée en matière, avec son xylophone insoutenable, les coups de massue des percussions, annoncent clairement un chemin interprétatif, et sans coup férir, le climax du premier mouvement, le retour du thème liminaire seront autant de moments de violence orchestrale à couper le souffle, que le chef britannique se contente de battre sans préciosité, au seul bénéfice de la puissance du message.
En revanche, dès que l’orchestration se raréfie, que l’on approche les qualités de la musique de chambre, laissant une large part aux bois solos, la battue s’amollit et ne s’impose pas à des solistes tirant chacun dans une direction différente – un basson terriblement éteint, le desolato sans couleur du cor anglais, que Rattle semble subir sans réagir.
Le mouvement central, agissant par petites touches, ne sera pas loin de l’indifférence, horlogerie bien huilée, sans sarcasme ni arrière-plans au sourire de clown sadique. Et comme trop souvent chez Rattle, une manie du gros plan nuit à la continuité globale, mise à mal par une série de coups de projecteurs donnant par ailleurs l’impression que certains passages ont été travaillés beaucoup plus que d’autres pour ce programme de rentrée donné l’avant-veille seulement à Berlin.
Ainsi, quand le fugato infernal au centre du premier mouvement démarre en patinant, quand l’Allegro du dernier mouvement succède à un Largo pataud, ne tenant guère en haleine, on a l’impression d’un travail orchestral trop ciblé, les musiciens ébranlés par les velléités prestissimes de Sir Simon dans cet épisode aussi bancal qu’infernal. Par chance, l’ultime climax et la terrible retombée aux frontières du silence qui clôt la partition, moment sublime d’anéantissement, semblent avoir été l’objet de toutes les attentions.
Après un tonnerre de timbales et de dissonances déchirant la matière orchestrale, menés par des contrebasses dantesques dans leur ostinato, la pulsation stable comme jamais, la moindre cellule à son plus grand degré de précision, pizz à contre-temps, tenues sans vibrato impitoyables des bois, le célesta peut dérouler ses motifs répétés sur un tapis orchestral où la mort rôde dans tous les pupitres.
Ce sentiment de vivre des minutes exceptionnelles, on l’avait éprouvé en première partie, dans l’exécution des Variations pour orchestre à cordes sur un thème de Frank Bridge de Britten, œuvre avec laquelle Rattle semble faire corps d’un bout à l’autre, bénéficiant du quintette à cordes d’orchestre le plus charnu que l’on connaisse, aussi souverain dans les tenues désespérées aux frontières du néant de Chant que dans la caricature grinçante d’Aria italiana ou encore dans la déliquescence très ravélienne de Wiener Walzer.
Contrastes extrêmes de nuances, de tension d’archet, de vibrato également, une fulgurante unité, transcendée par l’épaisseur grisante et noire des cordes berlinoises, portent au pinacle ces variations en hommage au maître de Britten, créées à Salzbourg le 27 août 1937, première partition d’envergure d’un compositeur fondamental du siècle passé, très habilement mis en regard avec Chostakovitch, dont il était l’ami proche et avec qui il partageait nombre de valeurs.
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GroĂźes Festspielhaus, Salzburg Le 30/08/2015 Yannick MILLON |
| Concert de clôture du festival de Salzbourg 2015, avec l’Orchestre philharmonique de Berlin sous la direction de Sir Simon Rattle. | Benjamin Britten (1913-1976)
Variations sur un thème de Frank Bridge, op. 10
Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
Symphonie n° 4 en ut mineur op. 43
Berliner Philharmoniker
direction : Sir Simon Rattle | |
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