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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Version de concert de l’Enlèvement au sérail de Mozart sous la direction de Jérémie Rhorer au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Une main de maître
Ils ne sont pas si nombreux, les chefs à avoir percé les mystères dramatiques mozartiens, à avoir trouvé le bon dosage entre buffo et drama, les bons accents et des tempi cohérents dans les opéras de la maturité, et notamment dans l’Enlèvement au sérail. Au TCE, en version de concert, Jérémie Rhorer démontre à chaque instant qu’il est de ces happy few.
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Depuis la révolution baroque, notre regard sur Mozart a nettement changé, grâce à l’approche complètement renouvelée qu’a su imposer un Nikolaus Harnoncourt, toujours avide de dénicher du drame, du malaise et du sinistre dans une musique longtemps cantonnée à une forme de bonhomie béate.
Et si le sérieux parfois excessif du pape des baroqueux a été nécessaire pour rééquilibrer notre vision sur la dramaturgie mozartienne, notamment dans un ouvrage comme l’Enlèvement au sérail, d’une réelle gravité sous les oripeaux bouffons de la turquerie, on voit aujourd’hui émerger de jeunes chefs sachant y faire la part du théâtre et du divertissement, du drame et de la légèreté.
Ces dernières années, Yannick Nézet-Séguin a réussi un Don Giovanni, un Così d’une tension mêlée de tendresse constante, d’un climat toujours juste exaltant le génie dramatique de Mozart. Étrangement, il n’a pas su complètement renouveler le miracle des opéras italiens dans le Singspiel. À force d’éparpillement, de manque de simplicité, son Enlèvement au sérail finissait par manquer de continuité, malgré une énergie souvent irrésistible.
Tout aussi admirable que son confrère dans les ouvrages italiens, infiniment plus convaincant qu’en fosse cet été à Aix, Jérémie Rhorer réussit la quadrature du cercle dans ce que l’on considère généralement comme le premier chef-d’œuvre lyrique mozartien, par sa finesse d’analyse, ses tempi globalement très vifs mais jamais impossibles pour les chanteurs, et un climat doux-amer qui colle comme une seconde peau à la dramaturgie de l’ouvrage, beaucoup plus sérieuse qu’elle ne le laisse croire.
Si les cliquetis de la percussion, festive et colorée, confèrent l’énergie militaire requise par la musique turque, avec un génial ralenti de la grosse caisse pour finir le dernier chœur en beauté, si les cordes virevoltent dans tous les pupitres, au point que l’on manque de premiers violons dans une ouverture extrêmement moderne, chaque silence, chaque enchaînement, chaque interrogation chez les personnages, chaque nuage obscurcissant la trame de l’intrigue est subtilement rendu à l’orchestre.
Véritable horloger du théâtre, le patron du Cercle de l’Harmonie fait avancer les airs élégiaques, avec une pulsation le cœur battant (le klopft mein liebevolles Herz de Belmonte, les reprises de souffle des bois haletants face à un prince vraiment troublé, les saillies rythmiques des basses dans le Durch Zärtlichkeit de Blonde), usant d’un rubato millimétré, jamais excessif dans Martern aller Arten, sachant même faire vivre de l’intérieur l’ultime duo, dont on a souvent dit qu’il freine l’action si près du dénouement.
C’est d’ailleurs bien la direction qui cimente cette version de concert en l’absence de chant vraiment mémorable, à part chez le Pedrillo fin germaniste et au capital sympathie énorme de David Portillo, timbre charmant, voix parfaitement projetée et aptitude au pianissimo sans détimbrer valant le plus beau moment de la soirée dans sa troisième strophe de In Mohrenland, suspendue au-dessus de pizz impalpables.
Le reste du plateau vaut plus comme un tout au service d’une conception dramatique que pour ses individualités. Guère d’inouï chez les dames, pourtant honorables : timbre piquant se dérobant parfois chez la Blonde de Rachele Gilmore, chant presque constamment serré chez la Constance de Jane Archibald, altérant un timbre qui dévoile ses beautés à chaque occasion où la mâchoire accepte de se relâcher. Mais chez toutes deux, une réactivité au top et une vocalise ne méritant que des éloges.
Une agilité qui n’est pas le point fort du Belmonte de Norman Reinhardt, consonnes perfectibles et fébrilité dans Wenn der Freude Tränen fließen et Ich baue ganz, après un air d’entrée prometteur quoique laissant entrevoir, derrière un joli timbre clair, quelques nasalités dans les nuances soutenues, une demi-teinte évaporée de chanteur de charme et une tendance aux prises par-dessous stylistiquement disqualifiante.
Drôle de vocalité également chez l’Osmin de Mischa Schelomianski, voix en rien colossale, aigu de baryton léger viennois complètement déconnecté d’un grave très net à défaut de volume conséquent – mais n’oublions pas que le diapason à 430 Hz n’est jamais un cadeau pour les basses. Notre plus grosse réserve sera pour le Selim désespérément bouffe de Christoph Quest, nasillard, cabotinant son possible, confondant le magnanime Pacha avec le Majordome d’Ariane à Naxos, sans parvenir plus qu’un surtitrage cafouilleux à entamer le sentiment de complétude dramatique de cet Enlèvement au sérail dirigé de main de maître.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 21/09/2015 Yannick MILLON |
| Version de concert de l’Enlèvement au sérail de Mozart sous la direction de Jérémie Rhorer au Théâtre des Champs-Élysées, Paris. | Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Die EntfĂĽhrung aus dem Serail, Singspiel en trois actes KV 384 (1782)
Livret de Johann Gottlieb Stephanie d’après la pièce de Christoph Friedrich Bretzner
Jane Archibald (Konstanze)
Norman Reinhardt (Belmonte)
Mischa Schelomianski (Osmin)
David Portillo (Pedrillo)
Rachele Gilmore (Blonde)
Christoph Quest (Bassa Selim)
Ensemble Aedes
préparation : Mathieu Romano
Le Cercle de l’Harmonie
direction : Jérémie Rhorer | |
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