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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Wozzeck de Berg dans une mise en scène d’Andreas Homoki et sous la direction de Fabio Luisi à l’Opéra de Zurich.
Trop de grotesque pour Wozzeck
Difficile grand écart, dans ce nouveau Wozzeck de l’Opéra de Zurich, entre le rôle-titre fin et lunaire d’un Christian Gerhaher annoncé souffrant et la mise en scène d’Andreas Homoki flirtant avec le Grand-Guignol, et dont la recherche perpétuelle du grotesque ne convient qu’à une partie du chef-d’œuvre d’Alban Berg.
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Andreas Homoki, c’est un peu comme Robert Carsen ou Olivier Py : une signature, une pâte très reconnaissable. Mais c’est plus encore un concept. Ainsi, après Lady Macbeth de Mzensk au cirque et Lohengrin en Bavière, deux productions zurichoises également, voici Wozzeck en théâtre de marionnettes.
Les personnages de Büchner et Berg sont-ils effectivement manipulés ? Par le destin, par d’autres personnages ? On se pose ces questions tout au long du spectacle sans être persuadé de la pertinence de la vision. Car si Wozzeck est bien manipulé (ou plutôt utilisé) par ses supérieurs, c’est de son propre chef qu’il tue Marie, car sa prise de conscience d’avoir été trompé le rend fou. Quant à cette dernière, c’est également de son propre chef qu’elle succombe aux charmes du Tambour Major.
Ce qui semble en réalité avoir le plus intéressé Homoki dans cette transposition, c’est le grotesque des situations, la caricature. À ce titre, le personnage du Tambour Major colle le mieux à cette perspective. Mais quid de Marie qui en perd toute féminité, toute sensibilité ? Quid de l’enfant apparaissant sous les traits d’une petite marionnette manipulée par les adultes puis par un véritable enfant au final ?
Certes, les multiples cadres de scène de plus en plus étroits qui enserrent les personnages sont utilisés avec ingéniosité, mais le jeu frontal que cela induit et surtout l’absence de la nature (la lune, l’étang, l’eau), si importante à certains moments cruciaux de l’ouvrage, constituent des handicaps majeurs. Plus grave encore, cette vision annihile toute émotion, affleurant seulement dans la musique de la dernière scène, d’une grande intensité.
Drôle de cadre pour la prise de rôle de Christian Gerhaher en Wozzeck, ce chanteur si humain, si sensible qui doit ici jouer un pantin, soit tout l’inverse de ce que ses immenses qualités permettent. Malgré ce hiatus, le chanteur arrive à être touchant, notamment grâce à ses expressions du visage. On est donc loin des Wozzeck expressionnistes mais il est difficile de juger tout à fait la prestation du baryton en cette soirée où, annoncé souffrant, il est obligé de laisser Martin Winkler chanter sa partie pour la scène finale.
Pour répondre à sa finesse, il eût fallu une Marie tout aussi sensible, à la manière d’Angela Denoke ou Waltraud Meier. Mais Gun-Brit Barkmin affiche une franchise de son et d’expression davantage compatible avec la mise en scène qu’avec son partenaire. De fait, la chanteuse se montre froide, notamment dans les scènes avec son enfant. Difficile dans ces conditions d’être en empathie avec le personnage et les situations.
C’est sans doute le Tambour Major, rôle caricatural s’il en est, qui est le plus flatté par la vision scénique, et comme il est magnifiquement chanté par un Brandon Jovanovich toujours aussi grisant par sa prestance, la beauté de la voix et du chant, on est comblé. Même constat pour le Capitaine et le Docteur, remarquablement tenus par Wolfgang Ablinger-Sperrhacke et Lars Woldt. Le reste de la distribution fait preuve d’une grande efficacité, tout comme les chœurs.
La direction de Fabio Luisi est en empathie avec la mise en scène : extravertie, fougueuse et très sonore (trop parfois pour les chanteurs), mais peu variée (notamment au niveau des dynamiques) et peu émouvante, presque aussi monocorde que la scène est en quasi deux dimensions. On loue la cohérence, mais l’œuvre de Berg nous semble réclamer davantage de subtilité. Dommage que tant de belles forces n’aient pu offrir une vision véritablement unifiée ! L’impression de rendez-vous manqué et de froideur laisse un sentiment de frustration et d’amertume.
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Opernhaus, ZĂĽrich Le 25/09/2015 Pierre-Emmanuel LEPHAY |
| Nouvelle production de Wozzeck de Berg dans une mise en scène d’Andreas Homoki et sous la direction de Fabio Luisi à l’Opéra de Zurich. | Alban Berg (1885-1935)
Wozzeck, opéra en trois actes (1925)
Livret du compositeur d’après le drame de Büchner
Chœur et chœur d’enfants de l’Opéra de Zurich
Philharmonia Zurich
direction : Fabio Luisi
mise en scène : Andreas Homoki
décors et costumes : Michael Levine
Ă©clairages : Franck Evin
préparation des chœurs : Jürg Hämmerli
Avec :
Christian Gerhaher (Wozzeck), Gun-Brit Barkmin (Marie), Brandon Jovanovich (le Tambour Major), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (le Capitaine), Lars Woldt (le Docteur), Mauro Peter (Andres), Pavel Daniluk (Premier Compagnon), Cheyne Davidson (Deuxième Compagnon), Martin Zysset (L’Idiot), Irène Friedli (Margret), Alessandro Dürkhoop (l’enfant de Marie), Tae-Jin Park (un soldat). | |
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