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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de la Damnation de Faust de Berlioz dans une mise en scène de David Marton et sous la direction de Kazushi Ono à l’Opéra de Lyon.
Berlioz fait son cinéma
Pour sa troisième apparition à l'Opéra de Lyon, David Marton désacralise la tradition absurde qui aime à voir la Damnation de Faust comme une propriété nationale. Traitée sous l'angle du poétique et de l'onirique, l'œuvre révèle des trésors insoupçonnés. Kazushi Ono déploie une énergie revigorante, bien aidé par un plateau de qualité.
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Orienté essentiellement vers le théâtre, le travail du metteur en scène hongrois David Marton se construit autour d'une conception de la musique comme façon d'appréhender le monde. Au-delà de la bande son, il cherche à proposer une vision qui tient compte à parts égales de la logique interne du matériau musical et du fil narratif du livret.
Explorant la musicalité du jeu de l'acteur, il combine au souci d'illustrer l'action la volonté d'insérer des éléments extérieurs, quitte à bousculer les us et coutumes du microcosme lyrique. C'est ce jeu entre pur et impur qui fonctionne à plein dans cette Damnation de Faust lyonnaise, troisième volet de ce qui semble se présenter comme un triptyque poétique depuis Capriccio en 2013 et Orfeo ed Euridice en mars dernier.
David Marton choisit de situer son Faust dans un décor unique à l'étrangeté onirique et quasi-surréaliste. L'œil saisit immédiatement la référence aux grands espaces de l'ouest américain, ces collines en pente douce que longe la route 66, abondamment filmée par John Huston ou Denis Hopper. Le pickup sombre rappelle inévitablement l'esprit du road movie et du film noir – ce que confirment ces plans très classiques qui apparaissent sur grand écran lorsque passager et conducteur sont au volant. Entre cinéma drive-in et scène filmée, le paysage qui défile en incrustation derrière les personnages en pleine discussion.
Cette mise en scène répond à la fragmentation narrative du livret par une fragmentation et une juxtaposition des différents éléments. Rien d'étonnant à ce que David Marton aille puiser (mot pour mot) dans la traduction de Nerval des extraits du Faust de Goethe. L'intérêt va au-delà de la simple originalité, le geste soulève des questions tant esthétiques que politiques ; comme cet extrait d'une brûlante et sinistre actualité, scandé en voix parlée, à l'unisson : « Je ne sais rien de mieux, les dimanches et fêtes, que de parler de guerres et de combats. »
Par l'utilisation d'allusions répétées au rideau rouge comme séparation entre réalité et fiction, Marton interpelle le spectateur sur ce voyage au-delà des frontières. Ici, un groupe d'enfants jouent aux adultes, miment leurs gestes et leurs discours politiques ; là , ce sont des simulacres d'opération à cœur ouvert, comme métaphore croisée de l'amour pour Marguerite et de cette âme que l'on donne au diable.
La route est encore en chantier, un cheval blanc est attaché non loin… décor d'un théâtre de l'attente à la Beckett dans lequel évolue un chœur habillé à la mode Magritte, avec pardessus, chapeaux melons et cravates rouges. Traduit en anglais, l'admirable babillage amoureux entre Faust et Marguerite dans le jardin de Marthe est méconnaissable au point de le confondre avec une scène sentimentale des Leo McCarrey ou Frank Capra. Eminemment cinématographique, la course à l'abîme est filmée en contre plongée – hommage évident aux courses-poursuites avec cheveux au vent et ciel d'orage, telles qu'on les voit dans les films noirs.
Le triomphe du Mal tient en une image : Méphistophélès quittant la scène et se fondant dans la foule. Image symétrique pour l'apothéose de Marguerite : Le chœur revient une dernière fois, entourant le personnage au point de l'effacer complètement. Disparition ou présence diffractée et multiple ? La réponse reste en suspens… le metteur en scène se glissant malicieusement en figurant parmi les choristes.
En fosse, Kazushi Ono multiplie les effets et les contrastes. L'Orchestre de l'Opéra de Lyon hurle, grince et piaille avec une énergie bon enfant. Les cordes sont ciselées avec grâce dans le Ballet des Sylphes, tandis que la petite harmonie domine les débats dans les premières scènes champêtres. Déjà très sollicités par la partition, les Chœurs de l’Opéra de Lyon réalisent des prouesses de synchronisation dans le jeu très complexe exigé par David Marton pendant les séquences chantées.
Faust très sensible et engagé, Charles Workman fait oublier par le naturel de son jeu d'acteur des aigus émoussés ou négociés en voix de tête. Entre clown blanc et héros romantique, il campe un Faust très théâtral et ambigu. Son maléfique alter ego est brillamment interprété par un Laurent Naouri en grande forme, conjuguant mordant et brio d'un bout à l'autre de la soirée.
René Schirrer n'a malheureusement plus les notes de Brander, tandis que Kate Aldrich livre une bien pâle interprétation de Marguerite. Son D'amour l'ardente flamme est chanté sur le fil du rasoir, le timbre mat et froid. De bien rares bémols dans une soirée remarquable de tenue.
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