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CRITIQUES DE CONCERTS |
23 novembre 2024 |
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Nouvelle production de Vasco de Gama de Meyerbeer dans une mise en scène de Vera Nemirova et sous la direction d’Enrique Mazzola à la Deutsche Oper de Berlin.
Roberto l’explorateur
Idéalement porté par Roberto Alagna dans le rôle-titre et magnifiquement dirigé par Enrique Mazzola, le dernier Grand Opéra de Meyerbeer, Vasco de Gama, n’arrive pas à cacher quelques longueurs malgré une version édulcorée de près d’une heure, que la mise en scène sans intérêt de Vera Nemirova ne parvient pas à soutenir.
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Depuis les Huguenots de l’Opéra du Rhin en 2012 et en attendant ceux de Paris et Nice, il faut pour le moment voyager en Angleterre ou en Allemagne pour écouter Giacomo Meyerbeer. Après Chemnitz, c’est aujourd’hui à la Deutsche Oper de Berlin, ville dans laquelle naquit Jakob Liebmann Meyer Beer en 1791, de proposer sa production de l’ultime Grand Opéra l’Africaine, dans sa version initiale : Vasco de Gama.
S’offusquer des coupures d’environ une heure serait ne pas reconnaître que pour une œuvre créée le 28 avril 1865 (version l’Africaine revue par Fétis), soit seulement six semaines avant Tristan et Isolde de Wagner, le temps passe encore lentement à partir des actes IV et V, où ni l’interminable duo amoureux, ni les monologues successifs de Vasco et son amour Selika n’arrivent à soutenir l’action, même avec un cast de stars.
Pourtant, les trois premiers actes sont d’un intérêt certain, oscillant dans une voie post-Donizetti et Spontini d’un côté, et de l’autre annonçant Bizet et Delibes, dont on peut rapprocher les thèmes orientalistes aux Pêcheurs de perles et surtout à Lakmé. Au III, l’ouverture au hautbois a été reprise presque telle qu’elle par Tchaïkovski, et l’on se prête à entendre aussi souvent Moussorgski.
Dommage donc que les deux derniers actes s’épuisent dans le style du Grand Opéra français, d’autant qu’avec une direction dynamique, d’une grande intelligence et un sens de la pulsation irréprochable, Enrique Mazzola porte avec brio cette musique ! Il parvient même à tirer des sons clairs et légers d’un orchestre dont on connaît les qualités mais pour lequel on pouvait présager plus de lourdeur.
S’il est intéressant et important de remonter des pièces de ce répertoire, il est dommage que la mise en scène de Vera Nemirova ne soit pas au niveau. Les costumes de Marie-Thérèse Jossen semblent avoir été traités au cas par cas, et sont souvent moches (doudoune orange à côté de robes indiennes) quand ils ne sont pas ridicules – Alagna arrive sur scène avec un t-Shirt sur lequel est imprimée une photo du vrai Vasco, deux gros personnages avec des têtes d’éléphants….
Le plateau est recouvert d’un demi-cercle représentant un demi-globe terrestre avec des continents dessinés à la craie. Ce plancher s’incline à 180° pour occuper parfois l’espace à la verticale, sans jamais créer de véritable ambiance ; il sera surplombé ensuite par un matelas de fleurs plus semblables à un gratin à la tomate qu’à des pétales de roses. Seul fonctionne dans ce dispositif le penchant Grand Opéra, là où un travail plus fin aurait aidé le spectateur à mieux supporter la fin du livret.
Héros de la soirée, Roberto Alagna tient de bout en bout avec un français d’une facilité déconcertante la longue partition du rôle-titre. Presque jamais en difficulté, la voix est puissante, assurée, tout comme ses aigus lancés avec maîtrise et passion. Si l’on pouvait encore douter de sa prise de rôle de Lohengrin, c’est maintenant sans inquiétude que nous l’attendons à Bayreuth en 2018, en espérant auparavant le réentendre dans de nombreuses redécouvertes d’opéras français.
L’esclave Selica de Sophie Koch lui répond avec superbe dans les duos et réussit un tour de force impressionnant dans un monologue de plus de vingt minutes en dernière partie, alors qu’il lui aura fallu les deux premiers actes pour prendre ses marques. Sa rivale Nino Machaidze (Ines) possède un vrai lyrisme et un timbre agréable, qu’elle doit toutefois moduler pour atteindre les hauts aigus.
Le reste de la distribution ne parle pas français et ne chante pas français, oubliant de marquer les consonnes, tout comme le chœur, toujours aussi bon dans la mise en place et la dynamique, mais qui aurait mérité plus de préparation sur le texte. Seuls Seth Carico (Don Pedro) parvient à se faire comprendre dans des graves chaleureux et surtout Markus Brück (Nelusko), fortement mis à contribution et habile sur toute la tessiture du rôle. Des basses, Andrew Harris (Don Diego) s’en sort le mieux devant un Dong-Hwan Lee (Grand Inquisiteur) en manque de crédibilité et un Alexei Botnarciuc (Prêtre de Brahma) trop nerveux.
Après avoir été dynamique la décennie passée dans la redécouverte d’opéras allemands du début XXe, la Deutsche Oper poursuit son travail méticuleux de très grande maison de répertoire en ravivant une œuvre de Meyerbeer servie par de grands noms du chant actuel et un excellent chef. Il ne reste plus qu’à trouver des clés de mise en scène pour faire oublier certains poncifs de la partition.
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Deutsche Oper, Berlin Le 11/10/2015 Vincent GUILLEMIN |
| Nouvelle production de Vasco de Gama de Meyerbeer dans une mise en scène de Vera Nemirova et sous la direction d’Enrique Mazzola à la Deutsche Oper de Berlin. | Giacomo Meyerbeer (1791-1864)
Vasco de Gama, grand-opéra en cinq actes
Livret d’Eugène Scribe
Chor & Extrachor der Deutschen Oper Berlin
Orchester der Deutschen Oper Berlin
direction musicale : Enrique Mazzola
mise en scène : Vera Nemirova
décors : Jens Kilian
costumes : Marie-Thérèse Jossen
Ă©clairages : Ulrich Niepel
vidéos : Markus Richardt
Avec :
Roberto Alagna (Vasco de Gama), Nino Machaidze (Ines), Sophie Koch (Selica), Seth Carico (Don Pedro), Andrew Harris (Don Diego), Clemens Bieber (Don Alvar), Dong-Hwan Lee (Grand Inquisiteur), Markus BrĂĽck (Nelusco), Irene Roberts (Anna), Alexei Botnarciuc (PrĂŞtre de Brahma). | |
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