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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production d’Ivan Soussanine de Glinka dans une mise en scène d’Harry Kupfer et sous la direction de Sebastian Weigle à l’Opéra de Francfort.
Mourir pour une cause
Premier opéra russe d’importance, Ivan Soussanine est l’occasion pour Harry Kupfer de donner sa propre interprétation de l’idée de mourir pour une cause. Pour sa nouvelle mise en scène à l’Oper Frankfurt, il transpose l’histoire en pleine Seconde Guerre mondiale, portée par un cast de bon niveau et un orchestre maison conduit par son directeur Sebastian Weigle.
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Né en 1804, soit seulement sept ans après Donizetti et trois ans après Bellini, Mikhail Ivanovitch Glinka réalise en 1830 un voyage musical initiatique en Europe pour rencontrer ses pères. Il en gardera la pâte en trouvant une personnalité qui lui donnera le statut de fondateur de l’opéra russe, dès la création triomphale en 1836 d’Une Vie pour le Tsar. Ce premier ouvrage d’abord intitulé Ivan Soussanine est créé avec le titre imposé par le Tsar, avant de connaître un retour au titre initial au siècle suivant, suite à la prise de pouvoir des communistes, quand toutes les allusions à la monarchie seront proscrites et efficacement retouchées par Sergeï Godoretski.
Encore prolixe à quatre-vingts ans, Harry Kupfer imprime à l’œuvre sa propre interprétation, partant du matériau de Godoretski en 1939 pour y annuler définitivement toute relation au Tsar, et même au personnage de Minime qui avait pris sa place sous le régime en URSS. Le livret se recentre encore plus sur le sujet principal d’Ivan Soussanine, héros donnant sa vie pour sauver une idéologie, tandis qu’une transposition en pleine guerre mondiale bascule le combat slavo-polonais du livret d’origine vers un conflit germano-slave, à l’instar de la transcription d’Eisenstein dans le film Alexandre Nevski de 1938, où un sujet patriotique était déjà prétexte à combattre l’ennemi allemand.
Pour alimenter cette proposition, le décor de Hans Schavernoch est constitué de deux cloches brisées à terre ainsi qu’une arche de pierres en ruine, soutenus en toile de fond par un paysage quasi désertique et neigeux. L’arrivée d’un char et de l’armée allemande sur la mazurka du II est rendue grotesque par le ballet très léger des militaires, d’abord en uniforme, puis à partir du III en tenues blanches de combat d’hiver.
Au IV, un écran recouvre l’arche pour laisser apparaître des arbres noirs, puis une tempête qui ne s’arrêtera que pour laisser seul Ivan Soussanine à son émouvant monologue, magistralement porté par un John Tomlinson à terre et emmitouflé dans sa grosse pelisse ; cette image rappelant par ailleurs la nouvelle Maître et serviteur de Tolstoï. L’épilogue présente le peuple et l’Armée Rouge triomphants devant un pays entièrement reconstruit, remerciant leur héros d’avoir donné sa vie pour sauver la leur.
On avait pu le vérifier l’an passé à Berlin en Boris dans la Lady Macbeth de Chostakovitch : John Tomlinson chante et prononce toujours parfaitement le russe. Son souffle fait rapidement défaut, mais la voix a toujours ses graves si impressionnants, et s’il occulte quelques départs dans les premiers ensembles, il crache ses tripes pour rendre magnifique son monologue final.
Dommage que le duo des jeunes amoureux soit un peu court, surtout dans les parties les plus lyriques, mais la couleur de Kateryna Kasper (Antonida) et la ligne de chant d’Anton Rositskiy (Bogdan Sobinine) soutiennent bien l’ouvrage ! La bonne surprise vient pourtant de Katherina Magiera (Vania), rôle du fils écrit pour une alto, qui trouve ici une interprète à la fois jeune et pleine de vie, très claire dans le chant et le texte ; elle sera la plus applaudie avec Tomlinson aux saluts.
Dans la fosse, Sebastian Weigle approche un peu lourdement la partition orchestrale, comme c’est souvent le cas en Allemagne dans l’approche de la musique russe. Il passe à côté des accents belcantistes de la pièce pour réussir surtout les grandes envolés et soutenir son plateau grâce à un volume contenu, trop contenu même si l’on en juge par le plaisir éprouvé lorsqu’il lâche la bride dans l’épilogue.
En proposant des ouvrages rares et en leur redonnant un souffle par des recontextualisations détachées de toutes idées muséales ou dépassées de l’opéra, l’Opéra de Francfort prouve encore une fois un dynamisme et une qualité qui font de lui une pièce maîtresse sur la scène internationale. On aura eu plaisir en plus ce soir à apprécier encore une fois le travail de Kupfer qui retrouvait son Wotan mythique de Bayreuth pour interprète principal.
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