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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise des Fêtes vénitiennes d'André Campra, dans la mise en scène de Robert Carsen, sous la direction de William Christie au Théâtre du Capitole de Toulouse.
Que les fĂŞtes (re)commencent !
Malgré d'évidentes facilités dans les parties dansées, la reprise toulousaine de ces Fêtes vénitiennes signées Robert Carsen consacrent le triomphe d'un genre inventé par Campra pour contrecarrer la tragédie lyrique de Lully. Aux commandes des Arts Florissants, William Christie officie avec le talent qu'on lui connait, bien secondé par un plateau de premier choix.
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On retrouve dans ces Fêtes vénitiennes d'André Campra un découpage et un rythme très proche des films d'animation tels qu'on pouvait les voir à l'époque des pionniers du cinématographe tels Louis Feuillade ou Alice Guy. Les saynètes s'enchaînent les unes aux autres avec juste assez de fil narratif pour qu'on ne perde pas complètement pied entre deux histoires.
Campra affute ici le genre tout nouveau de l'opéra-ballet, censé donner le change à la pompe austère des tragédies lullistes. On ne laisse pas de s'étonner de savoir qu'entre 1710 et 1760, il y eu près de 300 représentations, sans compter les versions parodiques. Ajoutant çà et là une scène ou une variation, le compositeur aixois sut faire durer le plaisir et proposer un renouvellement continu de son œuvre.
L'univers de Campra est tout entier construit autour de l'idée de la mobilité rythmique et le chatoiement des couleurs. Rien qui pose ou qui pèse également dans ce livret léger et enlevé. On regrette par moments que les chorégraphies du Scapino Ballet de Rotterdam, réglées par Ed Wubbe, ne viennent ajouter un assez inutile humour grivois et potache – ah, ces moutons lubriques forniquant avec force sonnailles sous l'œil bienveillant d'un William Christie pourtant près à s'offusquer d'une sonnerie de portable !
Sur les neuf entrées d'origine, la paire Christie-Carsen n'en retient que trois à la suite du prologue du Carnaval : le Bal et ses masques, les Sérénades avec sa troupe de joueurs, l'Opéra au palais Grimani. Le minutage total est réduit, ce qui n'empêche pas l'ouvrage d'occuper généreusement trois bonnes heures… Certains passages ont ce charme désuet des manuels d'histoire littéraire, tels ces disputes parodiques entre Maître de musique et Maître de ballet qui fleurent bon le Bourgeois gentilhomme.
Si les citations et les clins d'œil en direction de la tragédie lyrique ont perdu à nos yeux les références qui en faisaient tout le sel, il reste dans cette production suffisamment de vivacité et d'humour pour qu'on y adhère sans réserve. Les efficaces décors pivotants signés Radu Boruzescu font passer en un tournemain de la place Saint-Marc à l'intimité de salons avec murs écarlates tendus de tissus damassés.
L'écriture de Campra tend souvent vers l'accumulation de figures ornementales et souligne par des rythmes pointés une prosodie assez mince et très syllabique. Aux ariettes en italien succèdent des variations dansées (villanelle et forlane), avec parfois de belles surprises comme la pastorale interrompue et l'adorable Naissez brillantes fleurs de Zéphyr. La mise en abyme de l'Opéra et cette image de Borée descendant des cieux dans un tourbillon de lumière, reste l'une des plus belles images de la soirée avec celle, désenchantée et troublante, du triste retour à la réalité avec ces reliquats de la fête – jonchant la place Saint-Marc.
Le plateau est dominé par la belle présence d'Emmanuelle de Negri, tour à tour Raison, Lucile et Lucie. Rachel Redmond peine à dégager en Irène et Léontine une ligne déliée tandis qu'Elodie Fonnard brille davantage en Iphise qu'en Fortune. Toujours assez charbonneux dans ses premières interventions, François Lis fait oublier en Rodolphe la malencontreuse idée d'une voix amplifiée dans ses atours de Carnaval.
Borée et Alamir remarquables, le baryton anglais Jonathan McGovern ne parvient pas tout à fait à faire oublier la performance de Marc Mauillon à Favart l'an dernier. Trois caractères bien trempés tirent brillamment leur épingle de ce jeu de masques et de dupes : Cyril Auvity en Janus bifrons et acteur impayable, Marcel Beekman qui fait revivre de beaux souvenirs ramistes dans son interprétation du maître de musique et Reinoud Van Mechelen, aussi convaincant dans la présence scénique que dans la capacité d'évocation poétique.
A la tête de ses Arts florissants, William Christie soutient d'un geste ample et généreux une ligne harmonique très fluide et retenue. Les cordes peinent parfois à rendre la lisibilité périlleuse des changements de rythme dans les ballets mais ce sont là broutilles qui ne ternissent pas le bon niveau musical de la soirée.
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Théâtre du Capitole, Toulouse Le 28/02/2016 David VERDIER |
| Reprise des Fêtes vénitiennes d'André Campra, dans la mise en scène de Robert Carsen, sous la direction de William Christie au Théâtre du Capitole de Toulouse. | André Campra (1660-1744)
Les Fêtes vénitiennes, opéra-ballet (1710)
Livret d’Antoine Danchet
Version en trois entrées avec prologue
Compagnie de danse Scapino Ballet Rotterdam
Chœur et Orchestre Les Arts Florissants
direction : William Christie
mise en scène : Robert Carsen
chorégraphie : Ed Wubbe
décors : Radu Boruzescu
costumes : Petra Reinhardt
Ă©clairages : Peter Van Praet & Robert Carsen
Avec :
Emmanuelle de Negri (La Raison / Lucile / Lucie), Elodie Fonnard (Iphise / La Fortune), Rachel Redmond (Irène / Léontine / Flore), Emilie Renard (La Folie / Isabelle), Cyril Auvity (Le Maître de danse / Un suivant de la Fortune / Adolphe), Reinoud Van Mechelen (Thémir / Un masque / Zéphyr), Marcel Beekman (Le Maître de musique), Jonathan McGovern (Alamir / Damire / Borée), François Lis (Le Carnaval / Léandre / Rodolphe), Sean Clayton (Démocrite), Geoffroy Buffière (Héraclite). | |
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