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CRITIQUES DE CONCERTS |
31 octobre 2024 |
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Nouvelle production de Passion de Stephen Sondheim dans une mise en scène de Fanny Ardant et sous la direction d’Andy Einhorn au Théâtre du Châtelet, Paris.
Elle brûle les planches
Elle vient enrichir la connaissance d’un des derniers géants de la comédie musicale américaine que le Châtelet propose à son public. La création française de Passion de Sondheim, créé à Broadway en 1994, inspiré du film d’Ettore Scola, Passione d’amor, lui-même tiré d’un roman italien d’Iginio Ugo Tarchetti, révèle Natalie Dessay en tragédienne.
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Elle a sa fragilité, son hyper sensibilité. Pâle et menue, traits tirés, Natalie Dessay incarne Fosca, cette femme malade et laide dont la passion désespérée va changer le cours de l’amour autour d’elle. L’intensité de sa présence donne à l’étrange tragédie sur scène sa vérité profonde.
Car Passion, le musical de Stephen Sondheim sur un livret de James Lapine, « longue chanson rhapsodique entrecoupée de quelques dialogues », ne saurait être catalogué comme comédie musicale. Non seulement faute d’airs et de morceaux de bravoure, faute aussi de numéros dansés, mais parce que l’histoire représente un drame. Et cette dramaturgie, Natalie Dessay la fait sienne, voix ténue en accord avec le rôle, tessiture plus proche d’une mezzo et loin de toute virtuosité vocale.
En face d’elle, Ryan Silverman est l’homme adoré, aisance, panache, humanité d’un grand chanteur grand acteur grand habitué de Broadway, ce Captain Giogio Bachetti épris d’une autre et que Fosca va poursuivre inexorablement jusqu’à le vaincre envers et contre toute raison et mourir alors heureuse d’avoir été aimée, ne serait-ce qu’une nuit. Erica Spyres est cette autre, jolie voix et séduction à revendre, une Clara dont la normalité ne fera pas le poids.
Qu’ils jouent bien, tous, eux et les officiers qui les cadrent, excellents acteurs sous l’égide de Fanny Ardant. La metteuse en scène privilégie l’humanité des situations, laissant l’œuvre à son époque, soucieuse avant tout de susciter son climat envoûtant et l’intimisme de ses extrêmes émotionnels. Violence et lascivité, imprévisibles, tissent l’hystérie de Fosca sans que jamais ne mettent mal à l’aise ses débordements scabreux. Aucun pathos n’alourdit leur romantisme bizarre.
Le spectaculaire n’est pas de mise dans le flux musical continu, où les récitatifs se fondent dans les motifs formels. Sous la direction d’un Andy Einhorn idéalement attentif à ses thématiques lancinantes, la musique crée un univers harmonique clairement servi par l’Orchestre philharmonique de Radio France. S’y entrelacent chansons et dialogues, dont l’intelligence de certaines phrases enchante.
De la forme épistolaire du roman de Tarchetti, Fosca, Stephen Sondheim a relevé le défi et Fanny Ardant sait le mettre en valeur. La lecture souvent conjointe de la lettre de celui ou celle qui l’écrit et de son ou sa destinataire est une réussite. Les temporalités se superposent en s’éclairant mutuellement. Cette combinaison de narration et de vécu progresse sans trêve, soulignant d’autant plus fortement l’évolution des sentiments.
Les toiles du plasticien Guillaume Durrieu n’ont guère de rapport avec un décor, mais leur abstraction s’intègre sans problème à la diversité des moments vécus.
Les réunions des militaires, le chœur/corps d’armée mis au pas par Jean Guizerix, en flashback le solo de danse de Charlotte Arnould, Fosca jeune fille entre ses parents puis jeune épouse d’un escroc convaincant – excellent Damian Thantrey –, sont autant de ponctuations bienvenues dans la souffrance obsessionnelle qui domine l’atmosphère, ses gris multiples embués d’un peu trop de fumées.
« Là où ils entendent des tambours, nous entendons de la musique », s’émerveille Fosca. Le clairon militaire a introduit l’œuvre. Il reviendra lui aussi la ponctuer, différemment rythmé. Le symbole d’un mélange détonnant de réalisme et d’onirisme ?
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Théatre du Châtelet, Paris Le 16/03/2016 Claude HELLEU |
| Nouvelle production de Passion de Stephen Sondheim dans une mise en scène de Fanny Ardant et sous la direction d’Andy Einhorn au Théâtre du Châtelet, Paris. | Stephen Sondheim (*1930)
Passion
Orchestre philharmonique de Radio France
direction : Andy Einhorn
musique et lyrics : Stephen Sondheim
livret : James Lapine
mise en scène Fannny Ardant
décors : Guillame Durrieu
costumes : Milena Canonero
éclairages : Urs Schönebaum
chorégraphie : Jean Guiserix
Avec : Natalie Dessay (Fosca), Ryan Silverman (Captain Giogio Bachetti), Erica Spyres (Clara), Shea Owens (Colonel Ricci), Karl Haynes (Doctor Tambourri), Roger Honeywell (Lieutenant Torasso), Michael Kelly Sergeant Lombardi, Cook), Nicholas Garrett (Lieutenant Barri & Fosca’s father), Franck Lopez (Major Rizzolli), Damian Thantrey (Cont Ludovic), Matthew Gamble (Private Augenti), Tara Venditti (Fosca’s mother), Kimy Mc Laren (Mistress). | |
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