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CRITIQUES DE CONCERTS |
31 octobre 2024 |
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Création de l’opéra Marta de Wolfgang Mitterer dans une mise en scène de Ludovic Lagarde et sous la direction de Clement Power à l’Opéra de Lille.
Fille de Lille
Après Massacre créé en 2003, l’Autrichien Wolfgang Mitterer compose à la demande de l’Opéra de Lille, un nouvel ouvrage basé sur un livret d’anticipation inédit écrit par la jeune Gerhild Steinbuch. Quasi idéale, l’équipe musicale mêle habitués de créations contemporaines à une nouvelle recrue, la brillante Elsa Benoit, sous la direction fluide de Clement Power.
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Dans la continuité des œuvres oniriques, à l’instar de Pelléas ou Barbe-Bleue, Wolfgang Mitterer compose un nouvel opéra à partir d’un livret inédit écrit en allemand par l’Autrichienne Gerhild Steinbuch, traduit en anglais pour la composition. L’histoire prépare l’humanité à l’Apocalypse par le fait que tous les enfants ont disparu, sauf un : Marta.
Pour mettre en image ce sujet d’anticipation pendant environ une heure trente minutes sans entracte, la mise en scène de Ludovic Lagarde dans un décor d’Antoine Vasseur imagine un château moderne par le biais d’un Data Center de l’Arizona, prison aux contours maillés de câbles, qui s’inscrivent en trompe-l’œil sur les murs translucides. Au centre trône un bloc de verre noir, menhir à la façon du 2001 de Stanley Kubrick, modernisé par la pureté de design des inventions récentes, dont la transcendance s’exprime par la contenance immatérielle d’informations exploitables dans le monde grâce à la toile Internet.
Deux écrans impriment sur le bloc des mots, puis des images de Marta, d’abord enfermée et visible par transparence, avant d’être libérée pour interagir avec les autres acteurs issus des mythologies bretonnes (le Roi Arthur et la Reine Guenièvre) intégrés dans un passé futuriste par les costumes Heroic Fantasy de Marie La Rocca. La composition pour la voix ressemble à du Britten, comme souvent dans les œuvres modernes chantées en anglais, mais permet de beaux échanges scéniques et une mise en valeur des atmosphères. La jeune Elsa Benoit, issue de l’Opernstudio de la Bayerische Staatsoper, allie pour le rôle la fraicheur d’une poupée à un style de soprano léger qui s’intègre dans le prolongement de ses ainées Susanne Elmark et Barbara Hannigan.
Déjà entendu dans la création de Dusapin cette saison à Strasbourg, Georg Nigl est ici plus chaud et plus clair pour créer un Grot très présent vocalement, et combattre par sa vaillance le Captain du ténor Tom Randle, chanteur souvent distribué sous Gerard Mortier, à l’aise dans les partitions récentes et toujours impressionnant scéniquement. Le Roi Arthur de Martin Mairinger déconcerte par tant de facilité à passer d’une tessiture de ténor à une voix de tête allant chercher de très hauts aigus : on attend souvent une basse pour ce rôle royal, mais ici ses lamentations représentent un être faible et perdu, dans la veine de l’Égisthe de Richard Strauss.
La Reine d’Ursula Hesse von den Steinen complète le plateau vocal également soutenu par les huit excellents choristes de l’ensemble les Cris de Paris, faisant ressortir des thèmes empruntés au Moyen Âge et au baroque par le compositeur autrichien. La composition de Mitterer mélange avec fluidité des notes prolongées aux cordes et un style jazz expérimental aux cuivres, en plus d’aller tirer des mélodies plus anciennes, par exemple quelques mesures du choral de la Cantate n° 82 de Bach. La direction précise de Clement Power agence le tout sans rupture et permet un fondu parfait avec le matériau électronique, dont on regrettera certaines idées, comme les bruits d’eaux trop présents et parfois en décalage avec l’aridité du décor.
Pari audacieux de l’Opéra de Lille, cette commande pour cinq représentations dans la nouvelle capitale des Haut-de-France est une réussite et montre grâce à une salle bien remplie lors de cette quatrième soirée que le public est toujours favorable à la création.
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