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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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RĂ©cital du pianiste Ivo Pogorelich Ă la salle Gaveau, Paris.
Pogorelich l’unique
Avec lui, le temps n’a pas la même durée. Le pouvoir de sa sonorité dépasse toute analyse. L’intelligence dont il la guide ne cesse d’émerveiller. Né yougoslave et maintenant croate, Ivo Pogorelich est aussi un homme d’une rare ouverture aux autres. D’où ce rayonnement incomparable pour ceux qui le connaissent et ne manqueraient pour rien au monde un de ses concerts.
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La clarté d’un toucher qui atteint le cœur des sonorités, la densité de son détachement, la souplesse de sa plénitude, sa sensualité comme sa puissance explosive, la profondeur des basses, le foisonnement des couleurs, l’autorité de la main gauche, la luminosité des phrasés, le mystère des silences servent des interprétations hors toute référence. Ivo Pogorelich transcende tout ce qu’il joue. Sans jamais trahir la moindre note, son naturel à recréer une œuvre est tout simplement prodigieux.
Son récital commence par un Beethoven qui semble se porter les plus audacieux défis. En ses deux mouvements, la courte Sonate n° 22 en fa majeur nous saisit de son attaque à sa conclusion. Les rythmes affirmés, les harmonies changeantes, les octaves superbement autoritaires, les trilles vers le ciel enchaînent leur détermination. La toccata de l’Allegretto final fascine. La richesse de ce parcours ne nous lâche pas une seconde.
Quant à la Toccata en ut majeur de Schumann, elle s’élève au-delà de toute imagination. Ses difficultés légendaires disparaissent sous l’inspiration hallucinante dont nous grise Pogorelich. D’une seule coulée, stricte et lyrique dans sa provocation virtuose, elle nous emporte, envoûtés.
Couleurs des grands à -plats et des transparences irisées dès le Prélude de la suite Pour le piano de Debussy, accords aérés, harmonies magiciennes. Vigueur et fluidité d’une puissance concentrée sur sa liberté. La gravité de la Sarabande provoque, somptueusement éclairée. L’éblouissement que nous vaut la Toccata, la troisième de ce programme, n’est pas des plus rituels, tant le pianiste en passionne l’ascension, violence et légèreté incroyablement mêlés.
Changement de climat avec Granados, Trois Danses espagnoles n° 4, n° 5, n° 9. L’expressivité joue des rythmes. Nostalgie, lenteur, et puis bourrée, des caprices, des pas-de-deux entre les deux mains, des coquetteries à la droite face à une main gauche invulnérable, la diversité fait loi en une succession de moments enchanteurs.
Andantino, Allegretto, Andante cantabile, Presto, Adagio sostenuto, Maestoso, Rachmaninov a sans doute espéré Pogorelich pour donner une telle vie à ses six Moments musicaux. La complicité de ces deux mains incantatoires, les rivières, les fleuves de sonorité aux teintes infinies, l’esprit qui les habite nuancent l’intensité des sentiments sans jamais la moindre complaisance.
Quelle rigueur, au contraire, dans l’introspection du premier, son renoncement, les tumultes du second, l’inquiétude du troisième ! Progression crescendo d’une contemplation infinie, solennité de l’engagement. La profondeur de la pensée accompagne la virtuosité, cette magnifique main gauche creuse une houle vertigineuse sous une main droite impérative dans un Presto bouleversant. Drame et ferveur, ravages, audace, amour, protestations, élévation, bravoure, toute l’existence de l’homme s’exprime dans la splendeur de cette sonorité souveraine, née dans l’immobilité absolue de son créateur.
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Salle Gaveau, Paris Le 21/03/2016 Claude HELLEU |
| RĂ©cital du pianiste Ivo Pogorelich Ă la salle Gaveau, Paris. | Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano n° 22 en fa majeur op. 54
Robert Schumann (1810-1856)
Toccata en ut majeur op. 7
Claude Debussy (1862-1918)
Pour le Piano
Enrique Granados (1867-1916)
Trois danses espagnoles n° 4, n° 5, n° 9
SergeĂŻ Rachmaninov (1873-1943)
Moments musicaux op. 16
Ivo Pogorelich, piano | |
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