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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Tristan et Isolde de Wagner dans une mise en scène de Pierre Audi et sous la direction de Daniele Gatti au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Les amours mortes
Pour sa huitième et dernière année à la tête du National, Daniele Gatti donne au TCE son premier Tristan, délivré de tout carcan interprétatif et développé dans une optique personnelle où lenteur et narration épurent la partition. La mise en scène de Pierre Audi recherche une intimité dans laquelle la distribution trouve sa force.
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Bologne, Bayreuth et New York nous ont suffisamment préparés au Wagner de Daniele Gatti pour que personne n’attende à Paris une version de répertoire, mais au contraire une véritable interprétation de chef, une direction personnelle et intellectuelle qu’il livre en mots dans le programme et en musique dans la fosse.
À l’instar de Bernstein, son Tristan est donc lent et prend le temps de construire un drame intime, où l’amour n’est pas enflammé mais au contraire dépassé. La notion de Sehnsucht (nostalgie et désir) en imprègne l’exposé : dès le prélude tous sont déjà morts. Cette lecture trouve son apogée dans le duo amoureux du II, où le caractère incandescent des leitmotive passionnels est contré par l’apparition clairement identifiée ici de celui du Liebestod.
Ajoutés à des tempi amples, l’acte médian trouve dans une finesse de détails une véritable narration dans la mise en valeur et l’imbrication des thèmes. Le travail est si intéressant qu’on découvre dans cette œuvre écrite d’un jet de 1857 à 1859 toute la technique motivique utilisée dans la composition du Ring, étalée sur plus de quinze ans. Le Prélude du III saisit par sa finesse, retrouvée à la mort d’Isolde avec un ultime arpège de harpe inouï juste avant l’accord final des vents.
La séparation très distincte opérée entre diatonisme pour Kurwenal et Brangäne et chromatisme pour Tristan et Isolde trouve un troisième axe dans un retour aux sons bruts lorsque Marke entre en scène. Le tempo accélère d’un coup à ses arrivées, ramenant la musique vers une technique cavalière post belcantiste que l’on connaît des opéras wagnériens précédents, de la Défense d’aimer à Tannhäuser.
L’Orchestre national de France enfoncé au plus profond de la fosse fait ressortir des sonorités bayreuthiennes pour le public du parterre, plus chaudes et denses pour les auditeurs des balcons. Des instrumentistes, on retient particulièrement les magnifiques premiers violons, compressés à quatorze dans la petite fosse de l’avenue Montaigne, et les interventions de la première flûte et de la clarinette basse.
Pierre Audi suit l’idéal du chef dans une proposition plastique réfléchie à défaut d’être tout à fait passionnante. Le travail des lumières de Jean Kalman rappelle les productions de Bob Wilson sans créer la même beauté des contre-jours. Elle cherche aussi une épure connue depuis Alfred Roller il y a un siècle et développée depuis par Wieland Wagner. Des panneaux de coque d’un bateau rouillé roulent pour s’ajuster à l’action. De l’acte nocturne n’est surtout conservé que le réalisme du livret, son symbolisme ne se retrouvant que dans le totémisme des décors et costumes de Christof Hetzer. Des os sortant de terre à plus de deux mètres de hauteur placent la scène dans un cimetière d’animaux au moins gros comme la baleine franche, tandis qu’au III un bûcher avec un corps momifié prêt à brûler ramène aux mythologies païennes.
Des chanteurs se détache d’abord le superbe Kurwenal clair, dynamique, coloré et très bien projeté de Brett Polegato. Le Roi Marke de Steven Humes s’impose moins malgré une bonne diction car le timbre manque de profondeur. Personnage assez mal traité par la mise en scène, le Melot d’Andrew Rees semble gêné dans sa première intervention par le fait qu’il doive chanter recroquevillé sur un bâton d’infirme.
Habituée de Brangäne, Michelle Breedt tient le rôle avec force et puissance en jouant dans le final pour accentuer l’idée de femme blessée proposée par la mise en scène. Depuis son premier Tristan en 2009 à Glyndebourne, Torsten Kerl a gagné en assise dans le bas-médium et la voix n’est plus aussi nasalisée ; il tient le rôle de bout en bout. L’Isolde de Rachel Nicholls remplace une Emily Magee sans doute trop peu préparée pour prendre le rôle, surtout sans la coupure habituelle au II. Elle exalte le duo du II et se sort de ce sauvetage avec les honneurs, malgré des aigus parfois plafonnants.
Remarquable dans sa globalité, cette production de Tristan aura surtout tutoyé des sommets interprétatifs grâce à la direction du chef milanais et à un Orchestre national de France qui doit maintenant retrouver un directeur musical à ce niveau.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris Le 18/05/2016 Vincent GUILLEMIN |
| Nouvelle production de Tristan et Isolde de Wagner dans une mise en scène de Pierre Audi et sous la direction de Daniele Gatti au Théâtre des Champs-Élysées, Paris. | Richard Wagner (1813-1883)
Tristan und Isolde, drame en trois actes (1865)
Livret du compositeur, d’après Gottfried von Strasburg
Chœur de Radio France
Orchestre national de France
direction musicale : Daniele Gatti
mise en scène : Pierre Audi
décors et costumes : Christof Hetzer
Ă©clairages : Jean Kalman
vidéos : Anna Bertsch
dramaturgie : Willem Bruls
Avec :
Torsten Kerl (Tristan), Rachel Nicholls (Isolde), Michelle Breedt (Brangäne), Steven Humes (König Marke), Brett Polegato (Kurwenal), Andrew Rees (Melot), Marc Larcher (Un pâtre, Un Pilote), Francis Dudziak (Un jeune Marin). | |
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