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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Mathis le peintre de Hindemith dans une mise en scène de Jochen Biganzoli et sous la direction de Simone Young, à la Semperoper de Dresde.
L’art en danger
Trop rare sur les scènes du monde, le chef d’œuvre lyrique Mathis le peintre de Hindemith trouve à Dresde une nouvelle production d’une grande intelligence sur l’importance de l’art, et une distribution quasi parfaite soutenue par un superbe orchestre, auquel il ne manquait qu’une direction plus fine pour rendre cette soirée idéale.
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Dix minutes de musique pour l’ouverture de Mathis der Maler, pendant lesquelles la Staatskapelle Dresden se met petit à petit en place pour sortir rapidement ses plus belles sonorités, dans une optique de direction dynamique soutenue par la chef Simone Young. Puis l’orchestre prend en densité ce qu’il perd en raffinement.
Les cordes impressionnent par leur puissance. L’idéale petite harmonie est portée par la flûte, le basson et les clarinettes. Les cuivres passent rarement à côté d’une partition chromatique complexe et ne prennent jamais le dessus. Soutenue pendant plus de trois heures d’une main assurée qui privilégie pourtant trop la tenue rythmique et la puissance par rapport à la clarté, la dramaturgie en fosse accompagne le drame en scène.
Sur le rideau noir, une phrase écrite par Robert Longo sur l’impact de l’art, puis l’on découvre son triptyque de 2006, The Haunting, au milieu de la scène, représentant un avion sur chaque pan et les deux tours de New York recomposées en une seule sur la toile du milieu. Une femme se déshabille et rentre dans une baignoire à jardin, tandis que Mathias Grunenwald, alias Mathis, réfléchit sur un canapé moderne à cour.
Le second tableau ouvre sur une phrase de Roy Lichtenstein puis sur sa célèbre toile Whaam ! de 1963 représentant un avion de chasse en pulvérisant un autre. L’idée est intelligente mais commence à sembler facile ; elle est renforcée par le troisième tableau de l’opéra, une phrase de Kirchner puis son Autoportrait en soldat de 1915. Sauf qu’en guise d’autodafé, c’est la peinture qui prend feu, cet art interdit par les Nazis car considéré comme dégénéré. Alors le lien se fait, et si les Nymphéas de Monet au quatrième tableau semblent prolonger le mécanisme une phrase-une œuvre, le septième crée une rupture.
Le texte proposé sur le rideau pour cette avant-dernière scène n’est plus celui d’un artiste mais celui écrit puis lu à la radio par le régime nazi en 1934, interdisant à Fürtwangler et à tout le Reich de monter l’opéra Mathis der Maler, considéré comme atonal, dissonant, et dans lequel on peut voir une femme nue sur scène. L'image du bain n'était donc pas gratuite et la boucle est presque bouclée, mais le metteur en scène Jochen Biganzoli, qui a déjà réfléchi au problème de l’art avec les Maîtres Chanteurs sur la scène de Leipzig, a encore une idée : celle de faire apparaître au tableau précédent le sujet principal de l’opéra, le Retable d’Issenheim peint par Mathias Grunenwald, et de le mettre aux enchères devant nous. L’art reflète alors les problèmes de l’humanité, il est en danger quand il n’est pas protégé, hier d’une religion autoritaire, en 1934 du Nazisme, aujourd’hui du pouvoir de la finance.
Pour soutenir cette superbe idée, il ne reste qu’à insérer d’excellents protagonistes, à commencer par Markus Marquardt (Mathis), chanteur de la troupe auquel ne manque qu’un peu de chaleur et plus de personnalité dans le premier monologue. Ses duos sont ensuite magnifiques, aidés par un Cardinal impressionnant, tenu d’une voix particulièrement à l’aise dans le haut de la tessiture par John Daszak. Annemarie Kremer impressionne dans une Ursula agile avec les demi-tons, très puissante dans l’aigu en plus de posséder une projection et une couleur splendides.
Emily Dorn (Regina) débute petit, puis use d’une belle mezza-voce au quatrième tableau avant de se libérer totalement dans le sixième. Christa Mayer (la Comtesse Helfenstein) est aussi bien présente sur scène et en loge en face du ténor Tom Martinsen, souple et lyrique dans le rôle de Wolfgang Capito. Herbert Lippert (Hans Schwalb) se montre d’abord tendu puis plus ample, bien que le grain ne soit pas des plus beaux. Matthias Henneberg campe enfin un Lorenz empli de gravité, le tout accompagné d’un chœur splendide, terrifiant en foule de zombies au sixième tableau.
La dernière image d’un orchestre vide devant le compositeur-peintre laisse profondément ébranlé par la réflexion mise en place au fur et à mesure devant nous. La force de cette proposition aura seulement manqué d’un surplus de lyrisme et de modernité pour faire ressortir toute la puissance de la partition en fosse.
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Semperoper, Dresden Le 20/05/2016 Vincent GUILLEMIN |
| Nouvelle production de Mathis le peintre de Hindemith dans une mise en scène de Jochen Biganzoli et sous la direction de Simone Young, à la Semperoper de Dresde. | Paul Hindemith (1895-1963)
Mathis der Maler, opéra en sept tableaux
Livret du compositeur
Sächsischer Staatsopernchor Dresden
Sächsische Staatskapelle Dresden
direction musicale : Simone Young
mise en scène : Jochen Biganzoli
décors : Andreas Wilkens
costumes : Heike Neugebauer
Ă©clairages : Fabio Antoci
chorégraphies : Silvia Zygouris
vidéos : Thomas Lippick
préparation des chœurs : Jörn Hinnerk Andresen
Avec :
Markus Marquardt (Mathis), John Daszak (Albrecht von Brandenburg), Annemarie Kremer (Ursula), Emily Dorn (Regina), Christa Mayer (Gräfin Helfenstein), Matthias Henneberg (Lorenz von Pommersfelden), Tom Martinsen (Wolfgang Capito), Michael Eder (Riedinger), Herbert Lippert (Hans Schwalb), Gerald Hupach (Sylvester). | |
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