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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Lear de Reimann dans une mise en scène de Calixto Bieito et sous la direction de Fabio Luisi à l’Opéra de Paris.
Un roi sans divertissement
Créé en 1978 à Munich et repris à l’Opéra de Paris dès 1982, Lear d’Aribert Reimann fait son retour sur la scène du Palais Garnier cette saison, avec pour l’occasion la première production de Calixto Bieito dans la capitale, centrée sur l’homme et sa décrépitude. La distribution de haut vol profite du Roi de Bo Skovhus et d’un magnifique trio féminin.
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Sollicité par Dietrich Fischer-Dieskau dès les années 1960, Lear fera l’objet d’une commande officielle de la Bayerische Staatsoper de Munich en 1975. Aribert Reimann achèvera l’ouvrage en 1978, créé dans la foulée puis enregistré pour Deutsche Grammophon. La création française interviendra à l’Opéra de Paris dès 1982, et l’on verra naître cette dernière décennie de nouvelles productions à Francfort (Neuenfels) et Hambourg (Grüber).
En spécialiste du répertoire du XXe siècle, Bo Skovhus arrive à Paris avec un personnage déjà porté à plusieurs reprises dans la cité hanséatique. Il semble garder en tête ce qu’il propose depuis quatre ans dans la mise en scène de Karoline Grüber. Le chanteur a retrouvé du coffre et le prouve dès sa première phrase, tenue recto tono sur un seul fa#, tandis que l’acteur traumatise toujours par ses expressions, notamment dans la scène finale.
Pour l’accompagner, on a rappelé deux points forts de Hambourg, l’Edgar d’Andrew Watts, encore plus malsain dans cette nouvelle mise en scène, chantant la folie avec une voix de tête impressionnante en plus de s’accorder mieux scéniquement à la proposition de Calixto Bieito pour porter son personnage devenu fou, et Lauri Vasar, baryton toujours remarquable d’engagement en Comte de Gloucester, dont la voix parfaitement placée et modulée trouve une fracture émotionnelle lorsqu’il est rendu aveugle en seconde partie.
Gidon Saks campe un superbe Roi de France, démontrant sa faiblesse par rapport aux deux Ducs d’Andreas Scheibner (Albany) et Michael Colvin (Cornouaille). Les trois filles magnifiquement caractérisées dans leurs différences laissent la place principale à Goneril, chantée par une Ricarda Merbeth qui continue à impressionner par la tenue de la ligne et l’amplitude du spectre sonore. À l’opposé, la Cordelia d’Annette Dasch exprime douceur et grâce, sa voix plus petite étant profondément touchante dans la dernière scène. Erika Sunnegårdh est un mélange des deux, comme demandé par la partie de Regan ; elle peut comme sa sœur tenir le rôle de Senta, mais son personnage est moins brutal et doute plus.
Pour accompagner le plateau, le chœur de l’Opéra de Paris préparé par Alessandro Di Stefano démontre comme en ouverture de saison avec Moïse et Aaron de Schoenberg qu’il n’a aucun problème avec les jeux de hauteurs des partitions dodécaphoniques. Sa maîtrise vocale égale sa sombre présence, marquante dans cette mise en scène lorsqu’il doit chanter dans la pénombre derrière les panneaux de bois du fond de scène.
Fabio Luisi dirige d’une battue rigoureuse un Orchestre de l’Opéra dont les percussionnistes sont déployés dans les quatre loges de côtés attenantes à la fosse. Si le début manque encore de puissance et peine à gérer les équilibres avec les percussions, le retour d’entracte ravit par sa puissance. À partir du troisième interlude, le chef italien propose une superbe déploration, alors que la mort du roi Lear manque encore de densité et l’ensemble d’une certaine clarté, malgré une lecture relativement chambriste particulièrement remarquable dans le soutien des violoncelles et contrebasses.
Issu du collectif la Fura dels Baus et connu pour ses propositions sulfureuses, Calixto Bieito arrive à Paris après une première production française seulement l’an passée à Toulouse (Turandot). Comme dans Tannhäuser à l’Opéra des Flandres, il joue peu la carte de la violence physique attendue mais plutôt celle de la violence morale si intégrante au livret. Les vidéos de détails de corps vieillis ou les images bibliques, comme la pietà de la scène finale ou le partage du pain pour signifier le royaume à la première scène, privilégient une lecture douce de l’opéra tiré du texte de Shakespeare.
On regrettera d’avoir trop vu auparavant et dans des conditions bien plus frappantes ces arbres et cette pénombre (Freischütz-Berlin, Tannhäuser-Anvers), ces personnages nerveux frappant répétitivement (les Soldats-Zurich, Lulu-Bâle) et ces corps dénudés et noircis (Boris Godounov-Munich, Parsifal-Stuttgart) pour trouver à ce nouveau travail une véritable personnalité. Il reste pourtant l’intelligence et la rigueur dramaturgique, mais trop peu d’idées pour renouveler notre rapport au drame.
Cette proposition reste toutefois très solide, surtout alliée à une telle distribution, et les grincheux étant partis sagement à l’entracte, seul les convaincus sont encore présents aux saluts pour applaudir l’équipe et le compositeur sur scène.
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Palais Garnier, Paris Le 23/05/2016 Vincent GUILLEMIN |
| Nouvelle production de Lear de Reimann dans une mise en scène de Calixto Bieito et sous la direction de Fabio Luisi à l’Opéra de Paris. | Aribert Reimann (*1936)
Lear, opéra en deux parties (1978)
Livret de Claus H. Henneberg d’après la pièce de Shakespeare
Chœur de l’Opéra National de Paris
Orchestre de l’Opéra National de Paris
direction : Fabio Luisi
mise en scène : Calixto Bieito
décors : Rebecca Ringst
costumes : Ingo KrĂĽgler
Ă©clairages : Franck Evin
vidéos : Sara Derendinger
préparation des chœurs : Alessandro Di Stefano
Avec :
Bo Skovhus (König Lear), Gidon Saks (König von Frankreich), Andreas Scheibner (Herzog von Albany), Michael Colvin (Herzog von Cornwall), Kor-Jan Dusseljee (Graf von Kent), Lauri Vasar (Graf von Gloster), Andrew Watts (Edgar), Andreas Conrad (Edmund), Ricarda Merbeth (Goneril), Erika Sunnegårdh (Regan), Annette Dasch (Cordelia), Ernst Alisch (Narr), Nicolas Marie (Bedienter), Lucas Prisor (Ritter). | |
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