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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Pelléas et Mélisande de Debussy dans une mise en scène de Dmitri Tcherniakov et sous la direction d’Alain Altinoglu à l’Opéra de Zurich.
MĂ©lisande sous hypnose
Peut-on résumer Mélisande à une névrosée que le Dr Golaud soigne dans une demeure luxueuse dont on ne quitte pas le salon durant tout l’ouvrage ? C’est mettre de côté la nature, les jeux sur la lumière, donc trop aller à contre courant de la musique de Debussy défendue par une belle distribution que soutient un Alain Altinoglu à l’unisson des choix scéniques de Tcherniakov.
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Il faut bien l’avouer, nous allions à ce Pelléas et Méilsande vu par Dmitri Tcherniakov un peu à reculons mais attiré en même temps : qu’allait faire un artiste si radical et parfois si dérangeant dans un opéra si délicat ? Comme à son habitude, il transpose l’action dans un monde contemporain. Le vieux château froid et sombre, symbole de mystère et de secrets enfouis, se transforme en une immense demeure moderne, lisse et très lumineuse du fait d’une grande baie vitrée donnant sur une forêt.
Les secrets enfouis le sont au fond des êtres que Golaud, sorte de psychanalyste-hypnothérapeute, cherche à explorer (quand ce n’est pas Pelléas qui s’y met aussi) que ce soit grâce à un divan ou par une télévision transmettant les images d’une caméra de surveillance placée dans la chambre de Mélisande, ce qui crée un climat assez malsain.
Toutes les scènes-clé (la rencontre dans la forêt, le dialogue au bord de la fontaine, la grotte, les souterrains) sont donc vécues à travers le mental de Mélisande. Et c’est sans doute là l’une des faiblesses de cette vision univoque qui place les personnages toujours dans la même situation. Du coup, certaines scènes sont problématiques : la scène de la tour (sans tour, sans chevelure), celle de la grotte ou encore la scène d’espionnage par Yniold vécue mentalement par le jeune garçon hypnotisé par son père, peinent à convaincre.
Même problème avec la violence de Golaud qui se manifeste trop souvent et qui rend le personnage très monolithique. La véritable scène de violence de l’acte IV en perd toute force. La jalousie se présente également de manière très crue et provocatrice, notamment lorsque le corps de Mélisande devient la métaphore de la grotte où Pelléas n’a « jamais pénétré ».
Plus ennuyeux sont les changements de caractérisation des personnages : si Geneviève et Yniold sont relativement épargnés, Mélisande semble traverser toute cette histoire sans vraiment la vivre alors que Pelléas paraît lui aussi peu concerné par ses sentiments (au point de quitter Mélisande avec ses sacs et valise après leur dernière entrevue sans même que Golaud n’ait eu le temps de le tuer) tandis qu’Arkel apparaît comme le gourou de ce drôle de pensionnat, un gourou plus effrayant que bon et sage.
Dernier élément clé de l’ouvrage qui brille par son absence : la nature ainsi que l’opposition entre obscurité et clarté. Ici, tout est obstinément lumineux, ce qui provoque de sérieux décalages avec la musique de Debussy. Du coup, Alain Altinoglu est presque obligé de diriger l’ouvrage en à -plats et de manière très dramatique, mais il réussit malgré tout à distiller de la poésie dans une battue très précise et vivante (que suit un orchestre superbe). En cela, sa direction colle parfaitement avec la vision franche et crue de Tcherniakov.
L’autre mérite du chef est de ne pas laisser les chanteurs tomber dans un expressionnisme étranger à l’œuvre et d’avoir sans doute concouru à ce qu’ils s’expriment dans un très bon français. Il en est ainsi du très beau Pelléas de Jacques Imbrailo qui affiche une superbe voix de baryton très à l’aise dans l’aigu qui s’oppose parfaitement au baryton-basse plus corsé et sombre d’un Kyle Ketelsen très convaincant avec un chant toujours soigné malgré tout ce que lui demande Tcherniakov en termes de violence. À côté de ces deux remarquables artistes, la Mélisande de Corinne Winters paraît assez transparente et n’arrive pas à incarner véritablement son personnage, tant du point de vue scénique (ce qui est certes voulu) que vocal (ce qui est plus problématique).
Yvonne Naef campe quant à elle une formidable Geneviève, très fine et sensible, ce qui tranche d’autant avec l’Arkel de Brindley Sherratt qui débite un texte que visiblement il comprend mal et avec une puissance et un ton monocorde hors de propos. À noter un extraordinaire Yniold incarné par un jeune chanteur du Tölzer Knabenchor, Damien Göritz, aussi à l’aise scéniquement que vocalement et ce, sans avoir les yeux rivés sur le chef.
Pierre Strosser à l’Opéra de Lyon en 1987 avait lui aussi choisi de présenter un Pelléas en huis-clos dans un intérieur bourgeois, mais les personnages n’étaient pas autant détournés qu’ils le sont avec Tcherniakov au point qu’ici, tout mystère et toute émotion sont évacués afin de renforcer la crudité et la violence des situations, mais une violence lassante et qui n’est pas le propos principal de l’ouvrage qui en devient finalement presque méconnaissable.
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