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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de l’Enlèvement au sérail de Mozart dans une mise en scène de Wajdi Mouawad et sous la direction de Stefano Montanari à l’Opéra de Lyon.
Match nul au sérail
Belle clôture de saison pour l’Opéra de Lyon, qui affiche un nouvel Enlèvement au sérail à la fois classique et moderne, en costumes d’époque mais aux dialogues enrichis de la culture humaniste d’un Wajdi Mouawad tordant le cou à bien des clichés sur les différences entre Orient et Occident. Exécution musicale à l’avenant, pour un spectacle qui se tient de bout en bout.
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Bien qu’allergique à l’opéra de papa, nous étions méfiant devant la réécriture annoncée des dialogues de ce nouvel Enlèvement au sérail de Mozart confié pour cette clôture de saison 2015-2016 de l’Opéra de Lyon au tout nouveau directeur du Théâtre de la Colline Wajdi Mouawad, tant l’interventionnisme est devenu monnaie courante dans la mise en scène lyrique.
Il faut pourtant saluer le réel enrichissement qu’apporte à une dramaturgie un peu convenue la référence à l’ensemble des problématiques de l’amour, la grâce, le droit des femmes, le courage, la tolérance dans l’opéra mozartien ; comme si ces personnages parfois un peu stéréotypés acquéraient une ambiguïté supplémentaire dans leur rapport marivaudesque à la fidélité, ou comment la thématique du couple dépareillé dans Così, le salut impossible sans Pamina dans la Flûte, s’invitent dans la brutalité des rapports hommes-femmes du sérail.
Les barbares ne sont-ils pas plutôt ceux qui pissent de rire au jeu de foire de la tête de Turc que propose en ouverture du spectacle le père de Belmonte aux rescapés de l’enlèvement, toute fatuité dehors, monde des Lumières en route vers les atrocités coloniales sans nulle capacité d’autocritique ? Et les femmes qui ont rencontré – aimé – l’étranger ne voient-elles pas la relativité du concept de civilisation avec une évidence teintée du regret de leur choix ?
Alors on s’explique en rejouant l’évasion. Mais pas plus que les Turcs, les Européens ne sont prêts à émanciper les femmes, même à l’issue de cette mise en abyme, quelque peu délaissée au fil du spectacle. Et Constance de résumer : « Tout oppose [Orient et Occident], sauf l’idée qu’il faille contraindre la femme. La vénérer et la contraindre ! Sur ce sujet, les hommes […] s’accordent à merveille, seule les oppose la manière de contraindre. »
Respectueuse des rouages internes de la dramaturgie, la réécriture des dialogues témoigne d’ailleurs nettement plus d’un véritable amour pour l’œuvre originale que d’une volonté d’y faire entrer des concepts personnels. En outre, le discours apaisé et humaniste du metteur en scène libanais sur l’intolérance, sa vision ouvertement féministe quoique jamais revancharde, tordent le cou à nombre de préjugés sur l’Islam hystérisés par le contexte politique que l’on sait.
Sous cet éclairage positif, la musique s’épanouit à merveille, grâce d’abord à la direction à la pointe sèche, cassante, de Stefano Montanari, qui fait sonner l’Orchestre de l’Opéra de Lyon comme un ensemble à l’ancienne avec un geste vif mais détend le tempo du da capo de tous les airs pour laisser aux chanteurs la latitude de quelque ornementation. Saluant avec un look impayable, crâne rasé, pantalon de cuir et t-shirt imprimé squelette, l’Italien est suivi avec une fidélité absolue par ses troupes jusque dans ses infimes variations de tempo. On regrettera seulement ici ou là un certain morcellement du discours, à force d’envisager les numéros comme des séquences.
Le plateau, jeune, ne s’en émeut guère. Le Belmonte de Cyrille Dubois a de l’élégance, des nuances, une tenue parfois instrumentale de la ligne qui en font un amoureux sincère et musical, chez qui on déplorera une nasalisation excessive de l’émission, et un allemand perfectible dans les dialogues. Plus typiquement germanique, le Pedrillo de Michael Laurenz a moins de soutien dans la mezza-voce mais une gouaille incomparable et une excellente réserve de puissance pour les la aigus de Frisch zum Kampfe. Plus clair, moins bourru que d’ordinaire, et surtout sensible et aimant, l’Osmin de David Steffens n’en possède pas moins des graves nets, sans ampleur mais parfaitement audibles. Un peu sec de timbre, le Selim de Peter Lohmeyer offre une belle déclamation à son Pacha juste assez hautain.
Quant aux voix féminines, elles triomphent d’éclatante manière. Jane Archibald, formidable d’engagement, de réactivité, est une Konstanze volcanique, plus libre qu’en version de concert à Paris, virtuose et sûre d’elle, avec ces coloratures assénées tels de grands aigus, parfois plus durs que lumineux, surtout face au troisième registre d’une lumière radieuse de Joana Wydorska, voix minuscule mais ravissante de soin dans l’émission, au bénéfice d’une Blonde rêveuse, amoureuse, transférant le piquant habituel du rôle à sa maîtresse.
Opéra national de Lyon, jusqu’au 15 juillet.
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