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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production d’Il Trionfo del Tempo de Haendel dans une mise en scène de Krzysztof Warlikowski et sous la direction d’Emmanuelle Haïm au festival d’Aix-en-Provence 2016.
Aix 2016 (2) :
Croyez-vous aux fantĂ´mes ?
Attendu au tournant pour la mise en scène de son premier ouvrage baroque, Krzysztof Warlikowski réalise un coup dont il a le secret. Réunissant la fine fleur du chant (Devieilhe, Mingardo, Fagioli, Spyres), ce Trionfo del Tempo e del Disinganno est porté à bout de bras par une Emmanuelle Haïm et un concert d'Astrée des grands soirs. Une réussite totale.
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Théâtre de l’Archevêché, Aix-en-Provence
Le 14/07/2016
David VERDIER
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Scandaleux vraiment ? C'est en tout cas le qualificatif employé par Krzysztof Warlikowski dans son texte de présentation pour qualifier le livret du mécène et protecteur romain de Haendel, le cardinal Benedetto Pamphili. Ce Trionfo del Tempo e del Disinganno est le premier ouvrage baroque mis en scène par le sulfureux réalisateur polonais et pour l'occasion, le festival d'Aix a mis les petits plats dans les grands avec le gratin du chant baroque : Michael Spyres, Sabine Devieilhe, Sara Mingardo, Franco Fagioli, ainsi que le concert d'Astrée avec Emmanuelle Haïm.
Cette approche passionnera le spectateur curieux de s'aventurer au-delà d'une simple mise en repères traditionnels, parmi les interrogations de notre temps et notre désillusion. Le public fait face à une scène sur laquelle est reconstituée une salle de cinéma. Sur ces rangées de sièges en polyester prennent place des adolescentes au visage grave et triste, telles de sombres divinités. Ces regards nous observent, impassibles et troublants, comme si nous étions à la fois le sujet observant et observé.
Au milieu de cette histoire assez lénifiante d'une alliance allégorique entre le Temps et la Désillusion contre la Beauté et le Plaisir, apparaît la figure du philosophe Jacques Derrida sur l'immense écran de projection, représentant la Vérité. Le Temps invite la Beauté à se tourner vers « ce miroir qui, pour le faible regard et la pensée humaine reflète le faux du faux et le vrai du vrai. » Cet extrait savoureux et fort à propos d'une interview avec Pascale Ogier fait entendre l'auteur du concept de déconstruction dissertant de la question des fantômes. Croyez-vous aux fantômes ?, lui demande-t-on ; et Derrida de déployer une argumentation fascinante autant que facétieuse, loin de la sempiternelle réflexion existentialiste sur la finitude de l'Homme.
Parmi ces fantômes, il y a évidemment ce jeune homme que Warlikowski nous montre dans la séquence introductive, s'abandonnant au plaisir de la danse et l'usage de substances forcément illicites. Sa mort par overdose provoque le chagrin irrémédiable de la Belleza (Beauté) ; chagrin qui débouche sur des apparitions de l'être aimé sous la forme d'hallucinations. Cette souffrance justifie la discussion moraliste qui s'engage avec Piacere (Plaisir), accusé de tous les maux par Disinganno (Désillusion) et Tempo (Temps).
Rajustant tant bien que mal son rimmel qui coule, la Beauté finira par revêtir une robe immaculée avec un IHS brodé en signe de soumission et d'appartenance à un amour divin. L'épisode bienheureux sera de courte durée, la mise en scène obliquant soudain vers le désespoir d'un suicide brutal et sordide. L'épanchement introspectif de Tu del ciel ministro eletto par une Sabine Devielhe qu'on dirait tirée d'un film de Jim Jarmusch est assurément l'un des plus beaux moments de cet été aixois. Derrida le dit très bien : cinéma + psychanalyse = science du fantôme.
Déguisé avec beaucoup d'humour à l'image d'un célèbre DJ français, Franco Fagioli compose un Plaisir admirable et tête à claques. Son Lascia la Spina est feutré et subtil comme un rêve. Le (vieux) couple Tempo-Disinganno trouve en Michael Spyres et Sara Mingardo deux interprètes de très haute volée. La scénographie fait évoluer ce Temps, hipster désabusé en première partie, en sombre Orson Welles supervisant le déroulement de son scénario dans la seconde. En très grande forme, le ténor américain livre un extraodinaire Folle,dunque tu sola presumi racé et volubile.
À la fois Illusion et désillusion, le personnage de Sara Mingardo assène avec autorité son verbe hautain et sombre. Les somptueux phylactères de son Crede l'uom ch'egli riposi tirent des larmes. Plus engagée que dans l'enregistrement paru il y a une dizaine d'année, Emmanuelle Haïm trouve la couleur et la proportion rythmique idéale pour enflammer cet opéra si peu opératique. Le Concert d'Astrée atteint des sommets dans la fusion des timbres et la netteté des attaques.
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