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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Création mondiale de The Exterminating Angel de Thomas AdÚs dans une mise en scÚne de Tom Cairns et sous la direction du compositeur au festival de Salzbourg 2016.
Salzbourg 2016 (1) :
AdĂšs au Paradis
La force de lâĂ©vidence a le mĂ©rite de mettre tout le monde dâaccord : The Exterminating Angel inspirĂ© par le film de Buñuel Ă Thomas AdĂšs et Tom Cairns en est une Ă©blouissante dĂ©monstration, et lâon cherche les voix discordantes pour critiquer ce spectacle abouti et cohĂ©rent, au style parfaitement assumĂ©, attestant surtout une rĂ©elle intelligence dans le travail dâadaptation.
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Commençons par rendre Ă Buñuel ce qui est Ă Buñuel : El ĂĄngel exterminador est lâĆuvre idĂ©ale pour inspirer un opĂ©ra. Cela est tout sauf anodin, et il suffira pour sâen persuader de se rappeler combien le gĂ©nie opĂ©ratique dâun Britten, dâun Debussy sâest manifestĂ© en premier lieu par la sĂ»retĂ© de leurs goĂ»ts, par lâintuition de leurs choix dâadaptation.
Le film (au fond plus fantastique que surrĂ©aliste) raconte comment les invitĂ©s dâun dĂźner mondain sâavĂšrent inexplicablement incapables de quitter le salon, comment la haute sociĂ©tĂ© frĂŽle la barbarie dĂšs lors quâelle sent approcher lâanĂ©antissement. Huis-clos thĂ©Ăątral, fable morale, satire sociale, lâallĂ©gorique le dispute au rĂ©alisme dans un film dĂ©pourvu dâautre musique que le piano du salon, les cloches et les chants dâĂ©glise, pain bĂ©nit pour le compositeur.
Le remaniement de lâhistoire, la redistribution des personnages, la coupure dans les dialogues, la suppression de la scĂšne finale, tout passe comme une lettre Ă la poste, tant le projet semble limpide dans les esprits jumeaux de Thomas AdĂšs (ici co-librettiste, compositeur et chef dâorchestre) et Tom Cairns (librettiste et metteur en scĂšne). LâĆuvre produit donc cet effet bien connu depuis Wagner : la cohĂ©rence de la musique, de lâaction, du texte, de lâĂ©criture vocale, de la scĂ©nographie, du jeu des acteurs semble happer le spectateur dans un enjeu oĂč le jugement esthĂ©tique et la critique seraient dĂ©placĂ©s.
Dâune maniĂšre diablement efficace, qui fait maintes fois penser Ă Britten, nous voici pieds et poings liĂ©s Ă cette action dont nous voulons connaĂźtre le dĂ©nouement exactement comme au cinĂ©ma. Et assurĂ©ment, la musique est cinĂ©matographique, ne craignant ni la rĂ©miniscence ni le ralenti, puisant dans toutes les ressources du compositeur â du chant hĂ©braĂŻque Ă la bien-aimĂ©e chaconne, en passant par les tambours du Vendredi Saint de Calanda et la valse de Strauss. Sans tabou dâaucune sorte, la dissonance Ă©largie balayant tierces parallĂšles amoureuses et clusters vitriolĂ©s, la partition fait la part belle Ă lâexpressivitĂ©, le continuum sonore Ă©pousant dans une Ă©tonnante fluiditĂ© temporelle la grande variĂ©tĂ© des situations, et surtout des ressentis.
La mise en scĂšne, Ă notre sens incontestable, laisse grandes ouvertes les portes de lâimaginaire du spectateur, Ă lâimage du porche monumental du salon que les convives nâosent plus franchir : libre Ă chacun de trouver son chemin parmi les nombreuses interprĂ©tations possibles de cette action mystĂ©rieuse. Elle repose en revanche, et ce nâest pas la moindre de ses qualitĂ©s, sur des personnages extrĂȘmement Ă©quilibrĂ©s entre leurs particularitĂ©s et leur universalitĂ©, tous incarnĂ©s par un plateau remarquable.
Aux cĂŽtĂ©s des valeurs sĂ»res, Anne Sofie von Otter impayable dâabattage et au bas-mĂ©dium souverain, John Tomlinson certes en mal dâagilitĂ© mais royal en dĂ©clamation britannique, Thomas Allen tout dâancienne aristocratie, câest Ă mi-chemin entre la troupe et la galerie de portraits que se situe la performance dâune Amanda Echalaz Ă fleur de peau, une Audrey Luna triomphant dâune partition inchantable, une Sally Matthews lunatique, une Christine Rice torturĂ©e, le duo enchanteur de Sophie Bevan et Ed Lyon, un Charles Workman bienveillant, un FrĂ©dĂ©ric Antoun charismatique, un David Adam Moore ombrageux, un Iestyn Davies hystĂ©rique, un Morgan Moody modĂšle.
LâĂ©criture vocale Ă©vidente et caractĂ©risĂ©e, la grande maĂźtrise du temps, la conversation en musique jamais au kilomĂštre, lâomniprĂ©sence de lâonde Martenot exhumĂ©e pour incarner lâappel de lâange, et une grande science des atmosphĂšres caractĂ©risent une partition magistrale dâefficacitĂ© lyrique, un instinct trĂšs sĂ»r pour Ă©pouser les multiples dimensions de lâaction. Peut-ĂȘtre lâanalyse, lâĂ©coute au disque viendront-elles a posteriori dĂ©trĂŽner cet Ange exterminateur dĂ©jĂ couronnĂ© chef-dâĆuvre lyrique siĂšcle par la presse ; il nâen reste pas moins un Ă©blouissant succĂšs qui nâa pas peur de se frotter aux aspects traditionnels du genre de lâopĂ©ra.
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Haus fĂŒr Mozart, Salzburg Le 08/08/2016 Thomas COUBRONNE |
| Création mondiale de The Exterminating Angel de Thomas AdÚs dans une mise en scÚne de Tom Cairns et sous la direction du compositeur au festival de Salzbourg 2016. | Thomas AdÚs (*1971)
The Exterminating Angel, opéra en trois actes
Livret de Tom Cairns (*1952) en collaboration avec le compositeur, dâaprĂšs le scĂ©nario de Luis Buñuel et Luis Alcoriza
Création mondiale
Coproduction avec le Royal Opera House de Londres, le Metropolitan Opera de New York et lâOpĂ©ra royal de Copenhague
Salzburger Bachchor
ORF Radio-Symphonieorchester Wien
direction : Thomas AdĂšs
mise en scĂšne : Tom Cairns
décors et costumes : Hildegard Bechtler
Ă©clairages : Jon Clark
vidéo : Tal Yarden
prĂ©paration des chĆurs : Alois Glassner
Avec :
Amanda Echalaz (Lucia de Nobile), Audrey Luna (Leticia Maynar), Anne Sofie von Otter (Leonora Palma), Sally Matthews (Silvia de Ăvila), Christine Rice (Blanca Delgado), Sophie Bevan (Beatriz), Charles Workman (Edmundo de Nobile), FrĂ©dĂ©ric Antoun (RaĂșl Yebenes), David Adam Moore (Colonel Ălvaro GĂłmez), Iestyn Davies (Francisco de Ăvila), Ed Lyon (Eduardo), Sten Byriel (Señor Russell), Thomas Allen (Alberto Roc), John Tomlinson (Doctor Carlos Conde), Morgan Moody (Julio), John Irvin (Lucas), Franz GĂŒrtelschmied (Enrique), Rafael Fingerlos (Pablo), Frances Pappas (Meni), Anna Maria Dur (Camila), Cheyne Davidson (Padre SansĂłn), Elias Karl (Yoli). | |
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