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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise au festival d’été de Salzbourg 2016 de West Side Story de Bernstein dans la mise en scène de Philip Wm. McKinley et sous la direction de Gustavo Dudamel présenté au festival de Pentecôte.
Salzbourg 2016 (5) :
Bernstein donne des ailes
Éblouissante reprise au Festival de Salzbourg du West Side Story voulu par Cecilia Bartoli pour le Festival de Pentecôte sous la direction électrique de Gustavo Dudamel et dans la mise en scène mélancolique de Philip McKinley. Une réussite parfaitement équilibrée entre lisibilité, radicalité, intelligence, et plus de vitamines que dans la célèbre boisson énergisante régionale.
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Nous l’avons souvent écrit, l’interprétation d’un ouvrage lyrique repose en grande partie sur la manière de concevoir les personnages et les enjeux. Trop souvent, le metteur plaque l’histoire qu’il aimerait raconter sur l’intrigue, avec plus ou moins de bonheur. Rien de tel ici, l’humilité étant le maître-mot d’un questionnement on ne peut plus simple : et après ?
McKinley enchâsse ainsi West Side Story dans le présent de Maria qui porte son vécu tragique depuis vingt ans. Devenue la patronne de la boutique de confection, elle traverse son quartier peuplé de la mémoire de son adolescence, de son amour, de son deuil. Non seulement cela donne plus d’épaisseur à l’argument, mais en plus cela solutionne des difficultés scéniques et musicales.
La violence de l’action perd en distance – puisque ramenée à ses vestiges d’aujourd’hui – ce que le chant de Bartoli n’aurait pas d’évident en jeune fille : c’est une femme mûre qui porte le souvenir brûlant de son premier amour tragique. Le décalage entre la chanteuse de bel canto et les artistes de musical n’en est que plus émouvant, d’autant que la distribution affiche le Tony avantageux de Norman Reinhardt, tout à fait crédible en éternel jeune homme, et aussi à l’aise dans le lyrisme de sa bien-aimée que dans l’émission plus naturelle de sa bande.
Michelle Veintimilla assume avec fraîcheur les quinze ans d’une Maria toute spontanéité comme on ne peut pas vraiment en entendre dans une optique lyrique, tandis que Bartoli chante avec sfumato et morbidezza l’écho de ces mots d’amour innocent désormais bien amers ; ou comment solutionner une équation musicale avec un bel instinct théâtral.
Dès lors, il n’est plus que de laisser faire le talent de chacun dans la scénographie de George Tsypin. Écrasant mur couvert de graffitis ménageant d’innombrables combinaisons selon ses ouvertures et son éclairage, le décor modulable est à lui seul un personnage, tel le quartier de New York éponyme, et sait tirer le meilleur parti de l’espace unique de la Felsenreitschule.
Et les talents ne manquent pas. Entre l’Anita incendiaire de Karen Olivo, le Riff embobineur de Dan Burton, le Bernardo latin lover de George Akram, les lyriques n’ont qu’à bien se tenir : ça danse, ça chante, ça saute, ça court, ça interagit avec une énergie exemplaire. Mais tant Reinhardt que Bartoli jouent le jeu avec un abandon très touchant.
On se régale d’une équipe exhibant un tel métier, d’un spectacle si bien rôdé, précis, rapide, sans temps mort, parfaitement maîtrisé dans une joie palpable, et proposant une galerie de portraits où chacun est à son avantage, tant le Baby John hilarant de Josh Tye que la Rosalia godiche d’Amanda Digón Mata, jusqu’aux officiers de police savoureux de Dave Moskin et Daniel Rakasz.
Tout cela sous la baguette Ă©lectrisante de Gustavo Dudamel Ă la tĂŞte de son orchestre SimĂłn BolĂvar du Venezuela, Ă©tourdissante de rythmes louches, de moiteur urbaine et de vigueur, mais aussi de poĂ©sie et de suspension dans les pages intĂ©rieures. La prĂ©cision de l’interprĂ©tation, les nuances infinitĂ©simales assumĂ©es, les timbres Ă la fĂŞte, et le Mambo dans la peau, tout est en parfaite adĂ©quation avec une sonorisation idĂ©ale qui permet sans rogner sur l’exigence de combiner les diverses Ă©coles de chant du plateau et le texte parlĂ© avec l’orchestration roborative de Bernstein.
Le compositeur n’avait pas pour projet de citer Roméo et Juliette, mais de s’inspirer de ce qu’il y a de mythique dans la pièce de Shakespeare, pour parler de l’universel qui nous touche encore. Lorsqu’à la toute fin, Bartoli finit par se jeter sous une rame de métro pour enfin retrouver Tony dans un monde meilleur, on voit que le metteur en scène a probablement trouvé parce qu’il cherchait dans la même direction.
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