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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Reprise de l’Opéra de Quat’sous de Weill dans la mise en scène de Robert Wilson au Théâtre des Champs-Élysées, Paris.
Quat’sous en or
Avec la fascinante interprétation du Berliner Ensemble et des musiciens du Das Dreigroschen Orchester, Robert Wilson renouvelle fastueusement ce nouveau genre de théâtre musical que fut l’Opéra de quat’sous à sa création à Berlin en 1928. Un spectacle dont l’esthétisme et la dramaturgie conjoints atteignent une rare puissance.
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Théâtre des Champs-Élysées, Paris
Le 25/10/2016
Claude HELLEU
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Fabuleux tissage… Esthétisme et subversion, élégance d’une trivialité jamais vulgaire, humanisme d’une pègre corrompue, provocations d’une satire sociale inépuisable : Robert Wilson et le Berliner Ensemble transmuent en or cet Opéra de quat’sous. Réussir à typer le réalisme de ses voyous avec une telle poésie, enchaîner situations impitoyables et caricatures burlesques avec une férocité aussi bienveillante hausse l’image au niveau du texte de Bertolt Brecht et de la musique de Kurt Weill, ainsi magnifiquement illustrés.
Aussi bons comédiens que chanteurs, virtuoses du geste et de la voix, les interprètes de ce spectacle hors norme transcendent l’ambigüité de leur quotidien sordide. Impossible de louer comme il le mérite chaque personnage de cette cour des miracles londonienne originelle présentée dans le Beggar’s Opera de John Gay (l’œuvre produite à Londres en 1728 qui inspira Brecht et Weill) devenue sous les feux de Bob Wilson univers splendidement éclairé.
Gueux superbement vêtus, corps et âme engagés, décomposent le moindre geste ou le projettent, détachent les plus virulentes intonations ou les lissent de froide cruauté. Les subtilités d’une expressivité outrancière individualisent émois, débrouilles et trahisons avec une justesse millimétrée. Couple propriétaire d’un vestiaire des mendiants omnipuissant, Jürgen Holtz, Peachum terrifiant de cynisme, Traute Hoess, sa monstrueuse épouse, sont les meneurs de jeu remarquablement subversifs des malfrats qu’ils exploitent. Christopher Nell, leur gendre maudit, incarne un Macheath irrésistible, dandy paré de tous les talents, insolents, charmeurs ou chaplinesques, à juste titre coqueluche de ces dames, Johanna Griebel, fille des Peachum épousée et trompée avec la même ingénuité, Angela Winkler bouleversante Jenny, et toutes les putains du bordel qu’il aime.
Ce beau monde de petites gouapes évolue dans un décor épuré. Des tubes de néon structurent les lieux. Magasin des Peachum, espace où se marient Macheath et Polly Peachum, bordel, prison, le minimalisme impose sa perfection graphique. Y règne le pouvoir des mots. Parlés ou chantés avec ce talent protéiforme exceptionnel de la troupe du Berliner Ensemble, leurs sonorités exacerbent l’hétéroclisme de la musique de Weill, magnifiquement souligné par les neuf musiciens dans la fosse, l’audace du texte de Brecht (en surtitres français) et la force de leur alliance. Les bruitages, brefs et percutants, qui accompagnent des moments cruciaux, ajoutent leur sombre couleur aux blancs et noirs dominants mais lumineux de tableaux portés à un niveau de précision abstraite et charnelle unique en son genre.
Le premier rouge apparaîtra à la fin du spectacle avec le manteau d’un messager du roi dérisoire, drôlement chevrotant, venu sauver in extremis Macheath de la potence, avant que le rideau de scène flambant de ce rouge descende et encadre la foule ravie de ses amis et ennemis. « C’est parce que cet opéra a été conçu de manière si fastueuse que seuls des mendiants puissent en rêver, et parce qu’il devait être si bon marché que des mendiants puissent se le payer, qu’il s’appelle l’Opéra de quat’sous », avait déclaré Kurt Weill après sa création triomphale à Berlin en 1928.
À défaut de bon marché, le faste est là , primordial, le rêve est devenu réalité. Devenus en quelque sorte les coauteurs de ce spectacle époustouflant, une reprise encore perfectionnée de leur production présentée à Paris en 2009, Robert Wilson et le Berliner Ensemble figurent avec Brecht et Weill en mêmes caractères et dans l’ordre alphabétique au générique de cette œuvre inclassable. Un tissage qui nous comble d’un éblouissement inépuisable.
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