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CRITIQUES DE CONCERTS |
31 octobre 2024 |
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Première à l’Opéra de Paris du Lohengrin de Wagner dans la mise en scène de Claus Guth, sous la direction de Philippe Jordan.
Un Lohengrin anti-héros
Cette mise en scène de Lohengrin par Claus Guth avait fait l’ouverture de la saison de la Scala de Milan en décembre 2012, diffusée alors en direct à la télévision. En salle à la Bastille, l’impression générale est toujours celle d’un spectacle fort, proposant une complexe analyse psychologique, voire psychanalytique, des héros principaux.
Critique du cast B par Yannick MILLON.
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Le héros wagnérien beau, vaillant, triomphant, sauveur du monde, est un vrai poil à gratter pour les metteurs en scènes germaniques. Comment contourner ce stéréotype qui rappelle trop des idéaux funestes encore présents dans la mémoire collective, sans pour autant trahir Wagner ? Comment s’en débarrasser, car il est en général lié à une musique opulente, généreuse, voire triomphante dans un lyrisme sans complexes ?
Beaucoup y ont échoué et la proposition de Claus Guth, bien que fort compliquée, s’impose comme cohérente, plausible et en tout cas intéressante. Sa réalisation est sans faille jusqu’au bout, une fois admis que le traditionnel héros lumineux et mystique n’est peut-être simplement qu’une fragile créature enfantée par la rêve d’une Elsa obsédée par la disparition d’un frère qu’elle aime d’une passion quasi incestueuse.
Le jeune prince Gottfried qui d’habitude ne réapparait qu’à la toute dernière scène de l’opéra, est ici omniprésent, traversant à différentes reprises l’espace scénique, comme une image hantant Elsa, aussi bien qu’Ortrud d’ailleurs. C’est compliqué à rendre crédible et il faut pour y parvenir une distribution de chanteurs-acteurs de tout premier ordre.
C’est ce que Stéphane Lissner a réuni encore une fois, même si certains d’entre eux sont plus acteurs que chanteurs, au moins par comparaison avec certains de leurs aînés. Le décor unique et clos finit certes par être pesant. Tous ces costumes sombres et chapeaux haut-de-forme aussi. C’était sans doute comme ça à Wahnfried mais il n’était peut-être pas indispensable d’en faire autant dans le genre noir c’est noir. Il y aussi de belles images, comme cette rencontre nuptiale les pieds dans l’eau, milieu naturel du cygne, où ce dernier va forcément revenir d’un moment à l’autre, cette fois sous les traits de ce grand adolescent que l’on entrevu à différentes reprises.
Cela dit, on pourra être choqué par ce Lohengrin tremblant et apeuré, cherchant sans cesse à s’échapper ou à se cacher, héros contre son gré, mais interprété scéniquement par un Jonas Kaufmann magistral à cet égard, mais que l’on a connu dans une meilleure forme vocale, surtout aux deux premiers actes, le troisième atteignant à nouveau les sommets d’interprétation vocale dont il a l’apanage.
Somptueux Roi Henri de René Pape, comme toujours et excellent Telramund de Tomasz Konieczny, chant parfait et composition scénique également. Moins de satisfaction côté féminin. Martina Serafin semble maîtriser avec peine des moyens sans doute trop grands pour Elsa et Evelyn Herlitzius tente de compenser la couleur sombre nécessaire à Ortrud qui lui manque en criant très fort. Où sont les Elsa et Ortrud d’antan ? Mais ces dames sont d’excellentes actrices.
Les chœurs sont idéalement en place et sonnent avec une musicalité constante. La direction de Philippe Jordan est elle aussi d’une parfaite homogénéité, avec l’art de toujours faire sonner ce qu’il y a de plus intéressant dans la partition orchestrale et dans le rapport de celle-ci avec l’écriture vocale. Ce sont une réflexion et un travail de fond que l’on ne trouve pas si souvent aujourd’hui dans la direction des opéras de Wagner. Il faut en effet savoir équilibrer le décoratif, le métaphysique, l’anecdotique et le romantique. L’orchestre le suit avec un investissement absolu.
Un spectacle intelligent, fort, qui peut susciter des réserves de détail, mais qui raconte efficacement ce qu’il veut raconter, même si l’on est en droit de préférer des visions plus purement romantiques, comme celle proposées à Bayreuth à partir de 1987 par Werner Herzog, avec ce premier acte enneigé et ce lit nuptial baroque au III, reposant sur un tapis de peaux de loups dont les yeux se mettaient à rougeoyer quand le doute s’installait dans l’esprit d’Elsa. Inoubliable !
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Gloire Ă Elsa et Telramund !
Débutée en janvier, cette série de représentations de Lohengrin à l’Opéra Bastille, occasion pour le public parisien de découvrir la production de Claus Guth étrennée à la Scala, aura vu les cinq rôles principaux confiés à une seconde équipe pour les représentations de février.
Un jeu de chaises musicales sans grande incidence sur le visuel du spectacle, comptant parmi les Wagner a minima du metteur en scène allemand, autrement inventif, inspiré et captivant il y a quelques années dans le Vaisseau fantôme à Bayreuth ou Parsifal à Zurich, se contentant ici d’égrener ses thématiques psychanalytiques de prédilection avec un sentiment d’aboutissement bien moindre.
Un exemple parmi des dizaines : ce jeune Gottfried en ange rappelant, en à peine effleuré, le si poétique Cherubim muet qui transfigurait les Noces de Figaro de Salzbourg. La beauté de la scénographie, des éclairages, n’empêchent pas ici de ressentir quelques fourmis dans les jambes et une impression d’univers réchauffé.
D’une corporalité pataude parfaitement en phase avec l’anti-héros voulu par la scène, l’Australien Stuart Skelton est un Lohengrin aussi solaire que Kaufmann était lunaire, nettement plus juvénile de timbre, même si le matériau n’a pas la même consistante, ni surtout le même rayonnement dans l’aigu. Mais l’art des nuances, une véritable attention à se fondre dans les moirures de l’orchestre, une vraie élégance de la ligne en font un chevalier au cygne éminemment crédible.
Plutôt que le roi Heinrich d’une certaine noblesse de Rafal Siwek, peu présent vocalement quoique réservant ses meilleurs moments à son ultime exhortation de chef de guerre, le Héraut sans grand éclat d’Egils Silins, et jusqu’à l’Ortrud fielleuse à souhait mais au matériau exsangue et aux aigus criés de Michaela Schuster, on n’aura d’oreilles que pour l’Elsa idéale de blondeur d’Edith Haller, rayonnement aristocratique typique des voix germaniques, d’une pureté virginale à donner le frisson, d’une féminité fragile dans les piani à faire chavirer les cœurs, malgré un aigu à pleine voix difficile, et pour le Telramund mordant et noir de Tomasz Konieczny, d’une projection insolente, d’une présence du timbre, d’un métal remplissant à merveille la vaste nef de la Bastille.
Quant à Philippe Jordan, toujours friand d’une glorieuse pâte sonore, d’une plastique qui fait honneur à l’Orchestre de l’Opéra de Paris, il délivre ici l’une de ses meilleures prestations de fosse depuis son arrivée dans la Grande Boutique, nageant comme un poisson dans l’eau dans les divisi de cordes des halos lumineux du Graal et les atmosphères de mariage de conte de fée ouvrant le dernier acte.
Maniant les scènes de foule avec une belle énergie, même s’il ne parvient pas encore à ériger sans chute de tension la longue arche centrale alors que les actes impairs sont parfaitement tenus, il donne çà et là un bien inattendu sentiment de brutalité lorsqu’il permet aux musiciens d’ouvrir les vannes, toute la section de cuivres massée à sa droite se mesurant alors à la puissance de chœurs magnifiques de nuances comme de couleurs mais à peu près inaudibles de texte, et dont seuls les aigus des ténors ne sauraient encore rivaliser avec Bayreuth, indétrônable lieu de référence des scènes de foule wagnériennes.
Yannick MILLON
Richard Wagner (1813-1883)
Lohengrin
Stuart Skelton (Lohengrin)
Edith Haller (Elsa)
Tomasz Konieczny (Telramund)
Michaela Schuster (Ortrud)
Rafal Siwek (Heinrich)
Egils Silins (Heerrufer)
Chœur et Orchestre de l’Opéra national de Paris
direction : Philippe Jordan
Opéra Bastille, 15/02/2017 |
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