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CRITIQUES DE CONCERTS |
21 décembre 2024 |
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Nouvelle production de Jeanne d’Arc au bûcher de Honegger dans une mise en scène de Romeo Castellucci et sous la direction de Kazushi Ono à l’Opéra de Lyon.
L’héroïsme rêvé de Jeanne
Relecture radicale à haut risque mais au final très réussie pour la Jeanne d’Arc d'Honegger et Claudel en forme de parabole sur la connaissance de soi aux images iconiques à l’Opéra de Lyon. Exécution musicale sur les sommets également pour cette partition si atypique, défendue avec noirceur et la foi des bâtisseurs de cathédrales par Kazushi Ono.
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Lyon compte désormais parmi les quatre ou cinq scènes les plus innovantes d’Europe, et confie chaque année un peu plus ses mises en scène à des artisans du questionnement en profondeur de la dramaturgie des piliers du répertoire comme des pièces plus rares. Et Romeo Castellucci est incontestablement l’un des penseurs de la scène lyrique les plus prisés, après Parsifal à la Monnaie, Moïse et Aaron à l’Opéra de Paris et le spectacle Passion à Hambourg.
Captivé par les sujets religieux, l’Italien ne s’accroche pourtant en rien aux racines du dogme, en proposant ici une version de Jeanne au bûcher on ne peut plus dépolitisée et laïcisée. Dans le décor unique d’une salle de classe défraîchie du milieu du XXe siècle éclairée au néon, avec couloir menant au réfectoire attenant, un pré-prologue muet affiche pendant une dizaine de minutes une étonnante entrée en matière où, après la sortie des élèves, le concierge expulse avec une violence de plus en plus grande et en haletant toujours plus, tables et piles de chaises, avant de dépendre le tableau noir et la photo du directeur de l’établissement.
Symbole d’oppression sociale, de manque de reconnaissance dans l’univers si avide de prestige intellectuel de l’enseignement, il se barricade soudain dans les lieux pour mettre un terme à l’étroitesse répétitive de sa vie, à son absence de perspective. Sous les traits de ce vieux monsieur moustachu se cache en fait Jeanne, en habit d’homme comme l’Histoire le lui a reproché, et analphabète comme le souligne le texte de Paul Claudel – douleur supplémentaire dans le cadre d’une école –, qui après s’être menti trop longtemps, s’abandonne avant de mettre fin à ses jours à une vie imaginaire. Frère Dominique en médiateur sans compassion a beau s’évertuer à lui demander d’ouvrir la porte, elle affrontera seule ses démons et ses peurs.
D’abord dans une terrible séance de descente dans sa psyché, en arrachant littéralement les plaques de lino puis de carrelage jusqu’à des poutrelles calcinées, puis en cherchant à s’ensevelir dans la terre, après une vision d’héroïsme, l’épée à la main, à dos de cheval, devant des tentures historiques. Décharnée, vivant son fantasme totalement nue, caracolant sur un balai puis à dos d’une vraie monture couchée sur le flanc, proche de l’agonie, cette Jeanne d’Arc au bûcher certes très largement détournée n’en offre pas moins des images à même de marquer les esprits.
D’autant que, choix lui aussi radical entraîné par la scène, toutes les parties chantées de la partition le sont ici à l’aveugle, du chœur aux petits rôles, conçus comme les fameuses voix qu’entendait la Pucelle d’Orléans, un pari extrêmement risqué pour des questions de synchronisation, les solistes placés sur les côtés dans les loges borgnes servant de support aux projecteurs, les choristes retransmis depuis l’Amphithéâtre en sous-sol de l’Opéra de Lyon, avec une sonorisation étrange.
Et Kazushi Ono, en plus de proposer une lecture au noir du chef-d’œuvre d’Honegger, constamment inspirée, à la fois d’un authentique raffinement des sonorités et d’un dramatisme intense, de gérer à la perfection cette contrainte supplémentaire de taille, en authentique maître d’œuvre de la réussite musicale du spectacle, portant d’excellents solistes (Porcus, Marguerite, la Vierge) et des chœurs redoutables de précision pour les adultes, d’un merveilleux séraphisme pour les enfants.
Et si tant l’approche scénique sans concession que les particularités de déclamation (et l’élocution souvent moyenne) du Frère Dominique pressé de Denis Podalydès et de la Jeanne d’Audrey Bonnet, d’abord exsangue, rauque et étouffée, peuvent rebuter de prime abord, la montée en puissance de l’ensemble est telle que les résistances cèdent devant l’engagement phénoménal de cette héroïne quasi expressionniste, qui ne laissera personne indifférent. Une production loin des robinets d’eau tiède, trop forte pour donner l’impression d’une vraie trahison.
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Opéra national, Lyon Le 23/01/2017 Yannick MILLON |
| Nouvelle production de Jeanne d’Arc au bûcher de Honegger dans une mise en scène de Romeo Castellucci et sous la direction de Kazushi Ono à l’Opéra de Lyon. | Arthur Honegger (1892-1955)
Jeanne d’Arc au bûcher, oratorio dramatique en 11 scènes
Texte de Paul Claudel
Coproduction avec l’Opéra de Perm, la Monnaie de Bruxelles et l’Opéra de Bâle
Maîtrise, Chœur et Orchestre de l’Opéra de Lyon
direction : Kazushi Ono
mise en scène, décors & costumes : Romeo Castellucci
préparation des chœurs : Philip White & Karine Locatelli
Avec :
Audrey Bonnet (Jeanne), Denis Podalydès (Frère Dominique), Louka Petit-Taborelli (Premier récitant), Didier Laval (Second récitant), Ilse Eerens (Soprano solo / la Vierge), Valentine Lemercier (Marguerite), Marie Karall (Catherine), Jean Noël Briend (Porcus / Héraut I / le Clerc), Sophie Lou (Pécus). | |
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